Amruta Patil dans son atelier - Photo Alain François

Amruta Patil dans son atelier

Publié le 19 décembre 2014

En me dirigeant vers l’atelier d’Amruta Patil, une légère inquiétude : J’estime l’abîme de mon ignorance sur la culture indienne. Vertige ! En particulier, sur la culture contemporaine… Et mon cerveau tente tardivement de rassembler les quelques repères littéraires, artistiques ou cinématographiques à sa disposition : un dérisoire théâtre d’ombres noyé dans l’immensité d’un pays monde !

Mon flou mental est à l’exacte image de la brume sale, froide et humide qui efface la vallée aujourd’hui, ce 16 décembre si proche du jour le plus court de l’année. Je sais que la lumière sera faible et donc, que les conditions de prises de vue seront difficiles pour mon pauvre Smartphone.

Autre petite inquiétude : Nous nous sommes beaucoup croisés comme se croisent les timides, à l’occasion de soirées ou dans les rues de la ville, mais sans  jamais vraiment nous parler. J’aurais surement dû m’inquiéter plus encore de ne pas avoir lu ses livres, terrible impolitesse (comme la ministre de la Culture ?), mais j’ai pris le parti de visiter les ateliers d’auteur de BD comme on visite un atelier d’artiste : sans nécessairement savoir ce qu’on va voir ni qui l’on va rencontrer. Après tout, je viens des Arts plastiques et je ne croise tous ces auteurs que par un étrange hasard géographique. Je sais aussi que la lecture des livres fera l’objet d’un billet de nature différente. Donc, se laisser prendre par la rencontre.

Les romans graphiques d’Amruta Patil en français :

– “Kari”  chez Au Diable Vauvert 2008

– “Parva”  chez Au Diable Vauvert 2012

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La table de travail d’Amruta Patil :

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Très vite, après m’avoir offert un thé fort bon, elle me dit qu’elle travaille d’après le Mahâbhârata. Et je suis soulagé de savoir à peu près de quoi il retourne. Je lui dis que je trouve que la France a peu de liens culturels avec l’Inde, et elle acquiesce, remarquant que nous avons cet étrange tropisme japonais. Oui, les Français ont une très vieille passion pour le Japon, souvent au détriment d’autres zones géographiques. Et c’est bien dommage pour moi à cet instant là !

J’ai donc tout à apprendre. Et j’apprends que le Mahâbhârata, plus long poème de l’histoire humaine, n’est pas qu’un texte guerrier, loin de là, et qu’Amruta puise dans ce corpus immense l’inspiration pour ses romans, mais  en contrevenant parfois à la tradition en substituant au narrateur une narratrice (dans Parva).

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Pendant que je me demande si j’ai quelques parcelles du Mahâbhârata dans ma bibliothèque, elle m’indique un bloc de feuilles à droite de la table. C’est le roman sur lequel elle travaille. J’aime particulièrement les croquis, qui m’apprennent en général beaucoup sur leur auteur. Ils sont le premier jet de la pensée en acte et ont donc cette fraicheur et cette spontanéité qui sera souvent perdue ensuite. C’est un privilège de pouvoir feuilleter un travail en gestation. Oui, j’adore ça ! J’aime ces croquis jetés à l’encre, au crayon ou à la craie grasse. Le dessin est fluide, posé, sûr et bien senti. Les pages sont prises, structurées par des entrelacs de courbes qui délimitent des masses équilibrées. Le récit porté par des récitatifs en anglais découpés et collés en travers. Je n’ose pas trop feuilleter certaines pages détachées, mais tout ça est très intrigant. Pendant que je plonge dans ce projet titanesque, Amruta m’explique la spécificité de sa situation. Il n’y a pas de tradition de bande dessinée en Inde, et à l’exception notable de Yusuf Bangalorewalla (le site de l’éditeur) dont elle adorait les dessins quand elle était enfant, elle ne pouvait s’appuyer sur un contexte culturel, milieu, éditions, apprentissage, traditions, etc.  pour développer sa manière de porter le récit.

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dessin de Yusuf Bangalorewalla pour ‘Mirabai’ chez Amar Chitra Katha

Lorsqu’elle est arrivée en France, elle s’est sentie complexée par le niveau technique des auteurs. Elle se considère d’ailleurs toujours plus comme écrivain que comme dessinatrice. Je feuillette ses livres et elle m’y indique ses fluctuations de styles, ses recherches et hésitations. Je ne vois rien d’anormal et c’est l’inverse qui me choque aujourd’hui chez les jeunes auteurs trop formatés qui n’auront donc jamais l’occasion de chercher et trouver leur solution singulière pour mettre en scène une narration graphique. L’absence de milieu indien a des avantages : chez elle, elle est une écrivain parmi les autres, et par contraste, ceci met en lumière un grand problème de la distribution BD française qui exclut la bande dessinée du « reste du livre » (sans vrai classement de genre), en pénalisant les auteurs qui jouent avec l’extraordinaire plasticité du médium.

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Je sais que ce billet n’est que le premier que je consacrerais au travail d’Amruta Patil, et c’est une chance pour moi, car très habilement, Amruta a retourné la situation en m’interrogeant à son tour. Et comme je suis bavard, j’ai oublié la plupart des questions que je voulais lui poser. Mais ça n’a pas d’importance. Aujourd’hui, nous sommes rentrés dans son atelier. Maintenant, je vais lire ses livres et les questions prochaines porteront sûrement sur les sources et leur adaptation.

Avant de prendre congé, je relève les yeux et la regarde dessiner, je vois le geste souple et ample, les courbes sûres et l’emprise de la page… Hum, je n’ai pas encore lu ses livres, et je n’aborderais pas le rendu final des planches dans ce billet (la couleur directe), mais une chose me saute aux yeux : Amruta Patil est une écrivain, oui, mais c’est aussi une dessinatrice qui a trouvé son trait de la meilleure manière possible : en dessinant ses livres…

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Le blog d’Amruta Patil : http://amrutapatil.blogspot.fr

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