Comme c’est facile, la vie

Publié le 24 mars 2013

Comme c’est facile. Comme c’est facile. Quoi ? Tout.
Ce qui est dur, c’est ce que je veux. Je veux être l’autre. Ce qui est dur, c’est d’échouer comme j’échoue.

Tu la vois, cette vieille méduse, là, juste au bout de la dernière vague ? C’est moi. Je regarde les pieds qui s’approchent de ma masse et je tente d’émettre une dernière pensée : avant de m’écraser, si tu avais pu me voir nager, haaaa ! si tu m’avais vu, dans ma vie, quand je pulsais de toutes les ondes, que la lumière irisait mes gélatines, que je n’étais qu’eau vivante et spirituelle !
Flaque sale, il ne reste rien de mes ballets, il ne reste rien de mes danses, il ne reste rien de mes grands périples verticaux !
C’est ce que je pensais. C’est ce que je pensais de moi.

gyroQu’est-ce que tu veux faire plus tard ? J… Je ne sais pas… Non, même ça, ça s’exprime pas comme ça. Les enfants ne disent pas « je ne sais pas ».  Les enfants veulent toujours répondre correctement. Ils cherchent à dire ce que l’autre veut entendre… Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? Ha ha ha ha ! Déjà, si jeune, je m’en sortais par une blague. Je m’en sortais, de tout, par une blague. Que répondre ? Plus tard, je ne sais pas, mais maintenant, je veux comprendre… Ha, oui, la nuit… J’ai le droit de le dire ? Oui mon petit, vas-y ! OK (en fait, ce n’est pas vrai, je n’ai jamais eu le droit de le dire. Mais là, je fais comme si). Donc, comme si, oui, alors, oui, la nuit, je tente… Je peux le dire, vous êtes sur ? Oui oui, vas-y ! OK. Alors, la nuit, je tente de… de modéliser l’univers… Quoi ? Heu… Oui, vous voyez, comme dans « Science et Vie », les images de l’univers, vous voyez… Alors, je me suis rendu compte de deux choses, deux, l’une, c’est que ce qui est dans mon cerveau n’a pas de limite, je peux pousser les murs, pousser, pousser, c’est sans limites, alors l’univers devrait pouvoir loger, et je pense que je dois pouvoir « voir », par exemple si le mouvement perpétuel est possible, vous voyez ? Juste voir, en modélisant, vous voyez ? Vous voyez ? Pourquoi vous faites cette tête-là ? J… Je… J’ai dit quelque chose ? Non non, vas-y… Alors… l’autre chose… c’est que j’utilise un outil pour pousser les murs, pour créer cet espace avec des planètes, des systèmes, c’est dur hein ! Mais je force, je force, je force, je fais ça avant de m’endormir. Et l’outil, j’ai découvert qu’il pouvait se démultiplier, qu’en fait, c’était comme un point de vue, un point de vue… Quand je serais grand, dans 25 ans, je verrais ça dans des logiciels, on peut placer la « caméra » où on veut, ou un éclairage… je verrais ça. Mais c’est pas comme ça. Non, là, c’est mon « outil », c’est mon point de vue, c’est de là que je regarde, que je « sens » ce qui se passe dans mon cerveau… c’est… J’écrirais un jour « le point central de ma conscience »…. Et bien j’ai découvert que je pouvais le démultiplier, et regarder, mais aussi me regarder regarder, et aussi regarder me regarder me regarder me regarder… Oui, OK, c’est bon ! Quoi ? J’ai dit quelque chose ? Non non… OK, alors, je continue… Donc, j’ai découvert que je pouvais « penser » quelque chose, et ensuite, penser que je pense quelque chose, et ensuite, penser que je pense que je pense quelque chose…  Oui, OK, bon, tu deviens chiant en fait… Ha, vous voyez, je devrais pas, c’est ça ? Hein ? C’est pas bien ? C’est pas bien ? Oui, peut-être, mais aujourd’hui, j’en ai rien à foutre. Je t’emmerde, adulte qui n’a jamais existé, adulte qui m’a désespérément laissé seul. Alors, j’ai joué, le soir, avant de m’endormir, à découvrir le malléable de la conscience, à découvrir la duplicité de l’être, la relativité de l’ego, la plasticité du moi… toutes les formes possibles de soi…
Je ne sais pas ce que je veux faire plus tard. Aujourd’hui, je veux lire des livres, tous, je veux écouter les histoires que me racontent les filles, qui me passent des frissons, et je veux être moi, juste. C’est pas un métier, ça. Il te faut un métier. Et là (retour brutal au réel), là, j’ai compris que je n’aurais pas de métier, que je ne pourrais pas trouver ma place dans ce monde. Je m’en souviens, et à partir de là, je suis sorti de l’enfance, et je suis entré dans l’angoisse.
Alors, j’ai commencé à me parler, sur tout, sur le monde, sur les choses, sur les gens, sur les situations, et je jouais, non à trouver des solutions, mais à regarder mes propres mécanismes de l’extérieur, comme une forme, ma pensée comme une forme, en m’élevant au-dessus, et alors je voyais d’un coup d’où elle partait et où elle arrivait, et ou elle se plantait, et je me souviens de ce vertige, de comprendre que je pouvais aller encore au-dessus, et regarder l’instance qui regarde (instance, je l’avais pas, le mot), je pouvais ainsi naviguer dans un espace multidimensionnel (je l’avais peut-être, celui-ci, avec la science-fiction…) et voir ma pensée comme une succession de plan, et à chaque niveau, le niveau d’humour augmentait. Le niveau d’humour ? Oui, ou plutôt, une ironie, et tout se terminait par un immense rire, devant la bêtise de toutes ces constructions bancales. Un vertige. Et alors, j’ai commencé à douter de la mort, et surtout, j’ai cru trouver une porte de sortie, une issue de secours, car à partir de là, ce que me proposait le monde ne me concernait plus.
Je n’y ai trouvé qu’une immense solitude. J’étais dans l’erreur. Je ne faisais que jouer avec le jouet que je découvrais, un jouet fermé, sans issue. J’étais dans l’erreur, mais il n’y avait personne pour me guider.
Jouer avec, pour, tout contre les autres est infiniment plus complexe et plus amusant. Et le niveau d’incertitude est démultiplié, et tout devient excitant, car incontrôlable. L’érotisme. Mais j’étais encore dans l’auto-érotisme…
Et 35 ans plus tard, je suis là, comme sortant d’une machine à laver en position essorage. Et j’aime retrouver chez l’autre ces signes si ténus de cette plasticité, de cette potentielle duplicité qui passe pour malsaine et qui est pour moi un signe de reconnaissance.