Encore un effort

Publié le 20 novembre 2012

Je fais le malin…. mais je suis paumé. L’impression de passer de deuil en deuil depuis quelque temps. Et j’arrive à faire rire mes camarades, encore… même s’ils ne voient pas, tout à leurs rires, que la blague, cachée derrière mon écran, ne m’a pas déridé. Je dois à Philip Roth, je ne sais quand dans l’adolescence, d’avoir compris trois choses : que j’avais un grand nez bien sémite, que j’avais une « mère juive » version catholique, et que plus ça va mal, plus je vais mal, et plus je blague… Un truc bizarre, qui ajoutait à mon identité bâtarde. Ça m’allait bien.

Comme mon identité sexuelle relativement floue, qui cache en fait une hétérosexualité crasse, profonde et mystique. J’ai pris ça bien, à l’adolescence. Ce qui me traumatisait était autre…

Je blablate encore, juste pour introduire ce billet. Juste pour être là, à faire ça. Juste pour être avec vous. Toi. Je ne sais qui. Et dans les mots.

Demain, ils vont passer me prendre, et nous irons à l’enterrement. Je vais revoir des gens que je n’ai pas vus depuis trente ans peut-être, et je flippe. Et je flippe de l’épreuve qui se répète, comme une de mes blagues cons, car quand on vieillit, ce genre de situation devient plus habituelle. Ça vieillit aussi autour de soi, et ceux qu’on a connus partent. Ce n’est ni drôle ni pas drôle. Et le pire, c’est que je n’ai pas envie de parler de ça.

Il y a quelques semaines, Céline m’a dit « tu me fais flipper, ce que tu fais, on dirait un bilan ». Oui. Un bilan. C’est ça. Où suis-je ? Qu’est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je vais faire ? De 20 à 35 ans, je tenais le fil, fort, et je n’avais pas à me poser de question. Ensuite, le garage. Et là, je sors du garage, et je ne sais pas. Je devrais savoir. Il suffit que je me laisse guider par les gens qui veulent quelque chose de moi. Mais en vrai, je suis paumé. Je me sens con, ne peux m’empêcher connement de me comparer à ces générations de survivant qui elles ne se sont jamais posé de questions. C’était vivre et construire. Mais nous, nous savons que construire n’est pas nécessairement bon. Que construire veut aussi dire salir. Que ce n’est pas si simple !

Je veux bien sauver l’humanité. Je veux dire, moralement bien sûr ! Je veux bien… OK, encore un peu, mais alors comment doit-on s’en sortir ? Je pense à deux livres qui me semblent plus importants pour comprendre l’ampleur du problème que bien des traités philosophiques : Effondrement de Jared Diamond, qui montre qu’il n’y a pas de culture humaine « propre », que la tribu qui vit en accord avec son environnement est un mythe, que toutes les cultures humaines ont détruit leur environnement, avant d’aller salir ailleurs, et Livres en feu, de Polastron (tient ! un ami facebook…), qu’on devrait lire à l’école, une sorte d’histoire humaine par la cendre, par la destruction du savoir et de la poésie, et qui contredit celle qu’on nous enseigne. On y comprend que le moindre vers qui franchit vos lèvres aujourd’hui est une chose infiniment fragile et précieuse qui a survécu par miracle à l’acharnement continuel du feu. Ici, j’ai la ferme conscience de lutter au côté de tous ceux qui ont lutté pour ça. Pour s’inscrire contre l’Histoire, contre les militaires et la guerre, contre la violence, contre la haine.

Je pleure encore sur le sort de cette merveilleuse mathématicienne, géniale Hypatie, dépecée par la foule avec des coquilles d’huitre, même pas un bon couteau, à l’époque… je pleure chaque jour au côté de Sappho, ma préférée, car elle s’adresse encore à moi, à travers tout, qu’elle contredit la propagande chrétienne, pire que les talibans, destructrices des bibliothèques antiques pour effacer les preuves de ses crimes et plagiat, qui, encore dans le cerveau des universitaires contemporains, fait croire que c’est nous qui avons inventé le sujet et l’intériorité. Encore lut ça il y  a pas longtemps… Je ne fais pas leur deuil. Jamais. Et je choisis des femmes, parce qu’elles ont beaucoup brulé avec les livres, le massacre des femmes allant souvent avec celui du savoir.

Tiens, je pense brusquement que ce que je raconte là est lié à mon émotion esthétique à la lecture de cette merveilleuse histoire des Castors Juniors. J’adore cette référence, si improbable ! Et surtout, je la donne jamais précisément, juste pour voir si certains, intrigués à force, ne s’obligent à se taper les histoires de Picsou… L’indice, ce n’est pas Carl Barks, mais Don Rosa. Une histoire contemporaine en plus, même pas le prétexte du patrimoine !

Ha, je m’enfonce encore, et c’est pas comme ça que je vais m’en sortir. Le problème, c’est que comme je suis, pour m’en sortir, il faut qu’on s’en sorte tous. Ce que je veux dire, c’est que je dois croire en vous, pour retrouver le sourire. Sinon… à quoi bon ?

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