Gradiva

Publié le 15 mai 2013

Hannah, ho hannah ! Je t’aime ! oui, je sais, je sais, je l’ai déjà dit, et tu es toujours aussi morte. Mais qu’y puis-je ? Tu es ma Gradiva à moi, et infiniment moins con qu’un vulgaire moulage antique !

Dans le billet d’hier transpire un vieux sujet, un vieux projet. C’était à propos de cet ordre bourgeois qui avait remplacé l’ordre féodal, et comment de l’arbitraire nouveau de cet ordre même allait naitre ce qu’on nomme rapidement le progressisme. Parce que, dans mes élans romantiques, je crache facilement sur la classe moyenne, et donc sur la société qui offre le confort a la plus grande part de l’humanité. Un système moyen en effet, sans épate, justement, sans coup de sang ni accro, mais qui assure à une grosse part d’une société une vie digne. Donc, paradoxe, tout n’est pas si simple. Je n’ai rien contre le fait que des gens vivent en paix sans se préoccuper chaque jour de leur subsistance.

Mais il est bon de se souvenir de cette chronologie longue. De cette histoire de ces enfants de la bourgeoisie, de leur malaise, sans la pseudo-objectivité du sang pour justifier leur chance relative, qui vont remettre en question leur position dominante, oisive et jouisseuse, pour essayer de concevoir une organisation urbaine, d’abord, et des modes de répartition des biens et services systématisés.

Et le « systématisée » est extrêmement important, puisque ce désir de déshumaniser, d’automatiser l’aide et la redistribution est la clef des idées progressistes. Parce que le sentiment d’injustice des enfants de cette première grande bourgeoisie, tous ces urbanistes du XIXe en particulier qui sont scandalisé par la misère et l’absence d’hygiène du prolétariat, oui, mais aussi par le traitement de cette misère par leur mère compatissante. Les idées de gauche naissent du rejet catégorique de la charité et de toutes ses œuvres.

Ha, j’ai retrouvé un bout de mon vieux texte : « Si historiquement les aides sociales sont une évolution de la charité chrétienne, il fallait débarrasser la charité de ses fautes morales. L’acte de charité étaient vécus comme d’une insupportable immoralité, puisque dissymétrique, en cela qu’il n’y a de gain moral que pour le donneur, et qu’il créé de fait une situation de domination humiliante pour le bénéficiaire. La motivation du donneur était depuis longtemps considérée comme impure, puisque là ou le principe imaginait un geste désintéressé, il n’y avait que la recherche d’une valorisation morale de l’acte charitable, le donneur s’y trouvant ainsi confirmé dans sa position sociale dominante, ou plutôt, il gagnait une double justification de son hasardeuse fortune et de la nature inférieure du pauvre. Le bénéficiaire, qui semble pourtant recevoir quelque chose, se découvrait mauvais, puisque haïssant instinctivement son bienfaiteur, alors même que l’aumône, jamais, ne changeait quoi que ce soit à sa situation. Ainsi, la charité, qui semble si positive, offre le paradis au donneur vertueux, et l’enfer pour le receveur, condamné à la haine du bienfaiteur, à la jalousie et à l’humiliation. Dans le cadre de la mystique chrétienne, une sorte de double peine, sur terre et dans l’au-delà. Puisqu’il est difficile de se réjouir et jouir comme on l’entend en présence de tiers agonisants, le problème moral était difficile à escamoter. Il faudra ajouter au constat moral, déjà ancien, l’observation de l’échec du système charitable devant l’évolution désastreuse de l’urbanisme des villes industrielles. C’est ainsi que les urbanistes seront à l’avant-garde des idées de gauche, tous choqués par l’enfer sur terre que symbolisait la ville de Londres. La solution inventée par la bourgeoisie occidentale fut de dépersonnaliser l’aide, de la rendre systématique, systémique, ce qui supprime l’exploitation morale de la misère par des aisés corrompus, et supprime la chaine de la haine, puisque l’aide est un droit. Un pauvre ne la doit pas à une personne en particulier. De plus, en régularisant l’aide, change réellement la situation du bénéficiaire, aussi bien du point de vue de la subsistance (il vaut mieux avoir une ressource modeste régulière assurée que beaucoup plus en une seule fois) que du point de vu moral, puisque celui-ci retrouve une autonomie de gestion de son économie. Donc, la déshumanisation de l’aide, de la répartition, rend sa dignité à la part la plus fragile de la société, et cette dignité est facteur de paix sociale. Les troubles naissant toujours de la frustration.»

Me dis, aujourd’hui, là, que l’économie a besoin de la frustration comme moteur de la consommation… Hum…

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