Kuro Éden, Il y a une universalité du fantastique…

Publié le 26 février 2013

Et cette nouvelle exposition de la Galerie Da-End le démontre, d’une certaine manière, en éclairant l’étrange relation que Céline Guichard entretient avec le fantastique japonais et en particulier avec l’incroyable tradition des Yôkai.

Ce n’est pas le seul ingrédient de cet univers visuel protéiforme. Il y a, en toute logique, de nombreux ingrédients occidentaux : les évocations baroques, le grotesque roman, le fantastique XIXe, le surréalisme bien sûr et même les influences du Comics US et de l’imagerie punk-rock des années 80…

Lorsqu’on interroge Céline Guichard sur ses évidentes influences japonaises, elle reste prudente :

« Je ne me suis pourtant jamais inspirée directement des images des artistes contemporains japonais, que je ne connaissais pas il y a encore quelques années. Mais lorsque j’ai découvert le travail de Toshio Saeki, et ensuite des artistes se revendiquant du genre que l’on nome ero-guro, je m’y suis retrouvée comme “en famille”. Je me souviens juste avoir recopié en classe de 6e une estampe japonaise de Kitagawa Utamaro dans un manuel scolaire. Mais c’est seulement bien des années plus tard que j’ai découvert que l’image reproduite, “Les amoureux”, avait été largement recadrée de manière à faire disparaitre sa dimension érotique ! Bien sûr, maintenant, j’ai tendance à cultiver ces références que j’ai intégrées à l’ensemble des imageries très différentes qui me nourrissent, comme celles de Goya, de Diane Arbus, de Pierre Klossowski ou Lucian Freud, Louise Bourgeois ou même Georges Pichard et pourquoi pas les livres d’emblèmes, le cinéma…»

On pourrait donc s’interroger sur les chemins que Céline Guichard a dû emprunter pour qu’une française née au cœur de la campagne du sud-ouest produise des images qui flirtent de manière aussi évidente avec l’imaginaire traditionnel japonais. Certes, sa génération a grandi devant ces « mangas » si décriés dans les années 80. Mais il est difficile d’y trouver une source esthétique. Le dessin standardisé et aseptisé de ces animations n’a pas grand-chose à voir avec ses productions actuelles…

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Mais, au-delà des influences directes possibles, ces coïncidences esthétiques doivent être lu comme une communauté d’esprit, qui est autant la conséquence de la mondialisation culturelle en cours, de l’importance croissante de la culture asiatique dans le cadre de cette mondialisation, que des origines voisines de nos imaginaires : les traditions populaires qui ont toute une prédilection pour le fantastique et l’érotisme grotesque. Par exemple, j’écris ici à quelques kilomètres d’une campagne qui a son histoire de loup-garou, où l’on trouve à certains moments de l’année une pâtisserie en forme de pénis géant que ne renieraient pas quelques villages japonais…

D’après Edgar Morin, le monde des doubles (des esprits, les Yôkai au Japon) est le monde d’avant les dieux. Le temps des dieux est le temps de séparation des vivants et des esprits. Le fantastique, par son jeu sur les nombreuses modalités du double, le Tanuki qui sort du sexe d’une femme chez Saeki, les maladies symbiotiques ou les hybrides chez Guichard, se place donc dans un espace préreligieux… Ce fantastique originel se retrouve dans toutes les traditions populaires, ces mêmes traditions qui innervent les images de Toshio Saeki, mais aussi de Céline Guichard, et dès lors leur rencontre dans cette galerie-écrin n’est plus tant géoculturelle que sociologique… En effet, tous les fantastiques populaires se mettent d’accord sur ces quelques ingrédients clefs : le double sous toutes ses formes, un goût pour la déformation, le grotesque, la violence, un accès direct au corps et à la sexualité, sans euphémisation…

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