La fin de la femme-félin…

Publié le 13 août 2010


Je sais, je m’étais promis de passer à autre chose, de peur d’être définitivement catalogué, alors même que cette histoire de femme-félin (ici)  n’était à l’origine qu’une distraction, une manière de respiration, au milieu de lectures sérieuses et harassantes.

Mais voilà, Sarah Fist’hOle a posté sur facebook une  publicité de magazine datant vraisemblablement de 1970, pour le textile « Dacron », et que les sites féministes se refilent, comme un exemple d’acmé du sexisme.

La publicité est le dernier réceptacle de nos digestions culturelles. Ainsi, pas la peine d’y chercher singularité, nouveauté ou originalité, mais plutôt la synthèse édulcorée, mais parfois éclairée, des mythes, récits et images qui traversent nos sociétés. Les publicités sont lisibles, elles sont faites pour ça par des gens éduqués, qui ont même la prétention d’en savoir plus sur nous que nous-mêmes.

Celle-ci joue un drôle de jeu. C’est évidemment une provocation. Le texte est minuscule, et donc, nous somme laissé seul avec l’image (désolé, je n’ai pas trouvé une version plus grande. Le texte est intégralement transcrit ici ou ). Ce texte, par son outrance, surjoue l’ironie de l’image, et donc semble espérer la distance… En effet, il fallait oser prendre l’expression « se faire marcher dessus » au premier degré, et l’utiliser pour dire à un homme, en gros : « bien culotté avec un pantalon en Dacron, vous aurez l’air si sûr de vous, que même si votre femme est une tigresse, elle acceptera de se faire marcher dessus…”. Fallait oser. Donc, les sites féministes s’insurgent, c’est leur rôle, mais peut-on aller un peu plus loin, et tenter de jouer avec l’image, voire de la violenter un peu, pour renvoyer la balle au cynisme publicitaire ?

tigre

Car je me sens obligé de commenter une image aussi synthétique, qui en même temps confirme ce que j’avais tenté d’écrire (encore ici…), et d’un même coup apporte une triste conclusion à ce qui est autant une imagerie, la femme-félin, qu’une séquence narrative complète : la confrontation du mâle à la séduction de la bestialité.

Que voit-on sur cette publicité ? Un homme sans tête, dans un pantalon élégant, chemise blanche et cravate impeccable, le poing sur la hanche, l’autre main sur la cuisse, dans la posture stéréotypée du chasseur colonial, c’est-à-dire le pied sur la tête de sa proie abattue. La proie s’avère être une peau de tigre, mais la tête est celle d’une femme très apprêtée.

Le raccourci humoristique est au moins double, puisque la peau de bête signifie l’étape finale de l’abattage du fauve, sans passer par l’exhibition du cadavre, et d’un même coup, associé à la tenue « de ville » de l’homme, ramène l’ensemble dans le cadre du doux foyer de la classe moyenne occidentale. Foyer qui est à peu près l’antithèse de la jungle, comme la tête apprêtée de la femme semble pourtant l’antithèse de la sauvagerie.

Voilà donc des signes contradictoires, entre civilisation et sauvagerie. À part que ce qui est vivant, ce qui a vaincu ici, est la civilisation. La sauvagerie, (le corps de la femme) n’étant plus réduite qu’à sa plus simple expression, la peau tannée, élément décoratif “sur lequel on marche », signe édulcoré de…. mais de quoi exactement ? De la bestialité ?

pas seulement, car cette peau de tigre appartient autant comme accessoire à la panoplie de l’explorateur qu’à un érotisme romanesque de pacotille, et l’on y adjoint mentalement facilement une soirée d’hiver, un feu de cheminée, une bouteille de champagne, et le cérémonial qui mène d’une drague pincée sur le canapé en cuir à une joute chorégraphiée sur la peau de bête… Joute, donc, entre l’homme, costard et civilisation, et la femme… qui, nous le voyons clairement, est la la place de la bête sauvage ! et même plus spécifiquement, du grand prédateur chassé !

L’acte sexuel implicite est donc explicitement assimilé ici à un domptage, nécessitant un corps à corps mortel. L’homme-civilisation a séduit, combattu et enfin vaincu la femme-nature. Le corps sauvage est mort, et la tête de la femme (son cerveau ?) est enfin domestiquée (coiffé). Ce que vient ironiquement souligner le slogan…

Ainsi, ce qu’illustre cette image, c’est le préjugé machiste qui considère la femme comme « proche de l’état de nature », et donc « un simple bout de sauvagerie » au sein même de notre espèce, bout de sauvagerie qui doit être domestiqué par l’homme autoproclamé représentant de la civilisation…

Et lorsqu’une femme, consciente du piège du préjugé, veut retourner l’image à son avantage, ce qui s’est timidement produit aussi bien dans la société que dans l’imaginaire de la fin du XXe siècle, en assumant brusquement dans la réalité le rôle de prédatrice dans lequel l’enferme le pur fantasme (comme chef d’entreprise, par exemple, ou candidate à la présidence…), alors une autre sauvagerie surgit, cachée derrière de trompeurs atours policée, chemise blanche et cravate, pantalon au pli synthétique impeccable, uniforme des fiers colons des intérieurs modernes,  une agressivité brute qui refuse de s’assumer comme telle, mais pourtant prête à toutes les violences, et voilà donc comment fini la femme-félin… en tapis…

Et voilà pourquoi le publicitaire contredit, probablement involontairement, son propre discours : L’homme est sans tête, donc sans raison. Il n’est qu’un corps abandonné à ses pulsions à peine caché derrière le masque dérisoire du pli trop net du pantalon, et c’est la femme, qui joue pourtant le rôle de la bête, qui a une tête parfaitement « civile ». On pourrait même, cynisme contre cynisme, pousser la lecture en imaginant que c’est sûrement « sa » femme qui a « repassé impeccablement », donc civilisé, le pli du pantalon du vrai sauvage du couple…

La métaphore coloniale est accomplie.

[ Une petite note sur la queue du tigre, bizarrement redressée… doit-on lui donner un sens, ou y voir seulement un arrangement esthétique, pour qu’une diagonale ne vienne pas trop violemment fermer la composition ? Ou est-ce simplement qu’elle suit le déroulé du fond blanc du studio photographique ? Mais, qu’elle soit fortuite ou volontaire, elle vient narguer, en parallèle exacte, l’entre jambe trop net et trop vide de l’homme, comme une ultime et ironique inversion des attributs…]

22 comments

  1. Super. J’adore la « queue du tigre, bizarrement redressée… »
    Quand même, c’est pas facile les canons de la sexualité pour les hommes : tu dois être violent, mon fils, la femme est une proie sauvage qu’il faut maîtriser, etc.
    Finalement, montrer un homme uniquement depuis le bas de la ceinture, c’est peut-être un juste retour du stéréotype… (ok, je sors).

  2. C’est une erreur de croire que toute queue est automatiquement un symbole phallique. Je pense au contraire que la queue du chat (ici du tigre, mais c’est la même chose ici, le slogan le dit) est un attribut symbolique typiquement féminin, ce qui autorise le chat à être imaginairement féminin dans la culture occidentale. La queue dressée du chat n’est absolument un symbole phallique, c’est au contraire le signe de la disponibilité sexuelle. Caressez un chat au bas du dos et vous comprendrez !

  3. Il faudrait peut-être resituer la pub dans son contexte historique. 1968 avait été une révolution profondément machiste. Les années 70 au contraire marquaient l’avènement des groupes femmes qui allaient probablement beaucoup plus modifier en profondeur la société que les pavés de 1968. Le pantalon en Dacron, je ne sais pas bien pourquoi :), mais ça me semble une notion pré 68. Alors peut-être que ce n’est pas une si mauvaise pub que cela si une bonne pub, c’est une pub qui permet d’augmenter son chiffre d’affaire. Pour séduire des mâles qui se sentent du mou à l’âme face à des mouvements tels que « les gouines rouges » ou des groupes de paroles interdits aux hommes, un message simple supposé humoristique devrait permettre de résister à l’invasion des jeans…

  4. Il existe une publicité Mr Leggs des années soixante qui mentionne apparemment le même prix $12.95 dans le texte de pied:
    http://www.bonanzle.com/booths/pricedtocollect/items/1960_s_Mr__Leggs_Slacks_Ad__Beware_of_Burning_Passion_
    Il se pourrait donc que la tigresse date également de la fin des années soixante 😉
    Bien que plusieurs sites affirment que cette publicité soit parue dans de nombreux magazines, aucun ne donne de nom de journal ni de date précise. Je n’en ai pas trouvé non plus.
    Sinon, il existe une suite (que je pense être un fake):
    http://pzrservices.typepad.com/vintageadvertising/2009/09/what-did-she-do-to-deserve-this-she-was-being-too-nice.html
    Et un détournement:
    http://www.fanpop.com/spots/critical-analysis-of-twilight/images/10913126/title/nice-girl-around-house-fanart

  5. Ha, le Dacron, une « notion pré 68 » ! ça sonne bien ! Eh oui, en effet, en 1970, l’esthétique de cette pub semble tardive et explique je pense, l’ironie, la provoc pour tenter d’inverser le sens de l’histoire… quelque chose comme ça. Mais je trouve aussi que c’est une bonne pub, d’une certaine façon, qui tente de toucher une clientèle réfractaire à la mode du temps. Quant à ma lecture, elle est abusive, puisque ramenée de force dans le cadre de mon histoire de femme félin…

  6. Thomson a déposé la marque Mr Leggs en 1962:
    http://www.trademarkia.com/mr-leggs-72136845.html
    Il existe des publicités de concurrents dans la même veine macho:
    http://www.flickr.com/photos/amphalon/4856499256/sizes/l/
    http://www.flickr.com/photos/rchappo2002/2985819328/sizes/l/
    La seconde est datée de septembre 1966.
    Il semble bien qu’il s’agisse d’une série de publicités pour des pantalons « 65% Dacron » datant de la fin des années 60 et jouant sur les stéréotypes du machisme. Mr Leggs a juste été un peu plus loin que ses concurrents dans la provocation vaguement humoristique et je pense maintenant que sa seconde pub « Good thing he kept his head » n’est pas un fake.

  7. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Je ne trouve pas que cette pub joue sur un registre anté-68 et donc soit quelque part en retard par rapport à son époque. Je pense qu’en l’occurrence mai-68 n’est pas une borne pertinente. Si nous sommes bien dans une idéologie machiste, ce n’est pas n’importe laquelle : c’est celle de James Bond, qui date d’avant mai-68, certes, mais qui appartient déjà au paradigme de la guerre des sexes (qu’il faudrait peut-être remettre en perspective avec le mouvement des suffragettes anglaises plutôt qu’avec le mai-68 franco-français à mon avis, mais c’est juste une hypothèse) laquelle a commencé avant et continue bien après 68 (dans laquelle, pour mieux dire, mai-68 n’est qu’un évènement parmi bien d’autres, et d’aussi grande ampleur. Ce n’est donc pas un machisme primaire, comme le serait celui de Robert Bidochon, par exemple. C’est un machisme « tongue in cheek », c’est-à-dire un machisme de perdant objectif de la guerre des sexes (l’humour étant la politesse du désespoir, comme chacun sait). La petite moue de la pseudo Mireille Darc en carpette n’est pas insignifiant à ce titre, il me semble.

    D’autre part, sur le mécanisme marketing mis en œuvre par cette réclame, sauf erreur de ma part, en 1970, majoritairement ce sont les épouses des employés de bureaux qui achètent leurs pantalons à leur mari. Alors à qui s’adresse la réclame Dacron : aux mâles pour qu’ils réclament un pantalon en Dacron à leur épouse, ou aux épouses pour se doter d’un mari qui leur fasse honneur ? Je n’ai pas de réponse à cette question, mais ce n’est peut-être pas aussi simple que de faire saliver les hommes.

  8. on pourrait aussi dire que ce qui en ressort inconsciemment est que la tête de la femme est la seul qui soit.
    une société amazone est viable, mais l’inverse non, et c’est pour cela que l’homme se doit de la maitriser tel une bette pour palier a son inutilité en montrant sa puissance et sa virilité. alors que la femme sais inconsciemment que l’humain ne peut se passer d’elle, et que tout acte masculin est de toute façon dicté par ou orienté vers elle.
    l’éternel féminin.
    petit bemole : la gestation in vitro seras un jour la fin de la dominance féminine sous-jacente, et l’apogée de l’homme par sont égalité avec la femme devenu aussi inutile que lui.
    en a fessant croire aux femmes qu’elles se libèrent du joug de la société en se libérant de leur ventre, elles perdent du meme coup leur nature même, et leur « pouvoir » sur la société.
    il y a dans la libération, des face sombres dignes des plus sordides prisons.

    merci pour « Un proverbe espagnol nous dit : ‘La femme, comme la chatte, est à qui la soigne.’ », c’est excessivement vrai, on pourrais écrire « choisie celui qui la soigne. »

  9. En fait, nous cherchons en ce moment à dater cette publicité, qui, nous le savons maintenant grâce à Patrick Peccatte, appartient à une série volontairement humoristique. De plus, je pense qu’elle est antérieure à 1970… Je ne désespère pas d’identifier plus précisément la chose, et pourquoi pas, de reconstituer la série… Une chose est sûre, et que je notais déjà dans l’article, c’est que ce n’est pas du premier degré, mais bien de l’ironie, et il y a même une recherche évidente de connivence. Ailleurs, nous en discutons à quelques-uns, et je me demandais si ce ton très spécial ne correspondait pas, éditorialement, au journal Playboy ? Et donc, je me demande si cette publicité faussement faussement machiste, avec la distance et l’outrance, on ne sait plus… n’aurait pas pu être spécialement conçu pour ce journal qui avait à l’époque un ton similaire… Ce qui est sur, c’est que ça n’a pas grand-chose à voir avec 68… Ou pas directement, mais comme contexte, et donc, je pense exactement comme vous que c’est de l’humour, peut-être « de perdant », qui cherche le clin d’œil…

  10. Je l’avais trouvé celle-ci, mais Patrick Peccatte a découvert ensuite que la marque date de 1962 (« Thomson a déposé la marque Mr Leggs en 1962 »). Donc, les blogs racontent n’importe quoi… Nous avons donc une date basse et haute, entre 1962 et 1970…

  11. Oui Thierry, mais c’est une pub US, donc ce qui importe, c’est l’édition US de Playboy, et c’est à ça que je pensais. Mais peut-être que mon intuition est fausse et que cette série est parue dans un magazine de tricot ? Mais je ne veux empêcher aucun doctorant de feuilleter 10 ans de LUI !

  12. Désolé, mais j’avais une telle impression de « déjà vu » que j’étais persuadé qu’elle avait été utilisée en français. Comme quoi les praticiens de l’image sont ceux qui les regardent le moins…

  13. J’ai fait une recherche dans Google « images ». C’est étonnant le nombre de fois où cette publicité a été reprise, mais il s’agit toujours de la même reproduction d’une page déchirée en bas à gauche et froissée en haut à droite. Ce serait sans doute intéressant de retrouver le post original, mais je ne maîtrise pas assez la recherche dans Google pour ça. Le fait que tous ces fils se réfèrent aux années 70 n’a donc sans doute aucune valeur, car de toute évidence tout le monde fait du copié/collé. Si le premier a fait une erreur, elle a été reprise par tout le monde. Ceci étant je suis retombé sur un « Art Director » du début des années 70, et ce type de publicité avec une mise en scène qui raconte une histoire au deuxième degré était très fréquent dans les publicités anglo-saxonnes.

  14. Thierry, je répond rapidement. En effet, l’image qui traine sur les blogs est toujours la même. mais c’est un vilain défaut, mais nous avons une cobversation sur facebook… et là-bas, Patrick Peccatte a trouvé plusieurs publicités de la même série. je vais faire le point bientôt sur ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas. Pour la datation, c’est entre 1962 et 1970… pas très précis ! Ha, et en effet, ce ton était à la mode.

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