L’affiche d’Art

Publié le 6 décembre 2011

6 décembre 2011, Beaubourg :

L’affiche du festival de la bande dessinée d’Angoulême 2012 est dévoilée à l’occasion de la conférence de presse traditionnelle qui « lance » cet événement. Autre tradition, cette affiche doit être réalisée par le président. Cette année, c’est le célèbre Art Spiegelman qui s’y colle.

La réalisation de l’affiche du vénérable Festival est en général une épreuve pour ce président d’une année. Se sentant investi d’une lourde responsabilité, les dessinateurs s’en trouvent souvent paralysé, et ont la plupart du temps la même stratégie : botter en touche en dessinant une affiche chorale évoquant le maximum de héros célèbres. Ils naviguent entre le désir naturel de tout auteur, se singulariser en inscrivant son style et ses personnages, et la mission de représenter (à tous les sens du terme) un genre et une profession entière…

Je ne voudrais pas être à leur place… Et donc, vu les contraintes, il est à peu près impossible de produire une affiche mémorable du point de vue de l’art de l’affiche dans le cadre de cet exercice institutionnel.

Celle de cette année, juste dévoilée, émane d’un auteur un peu particulier. Art Spiegelman est assez peu dessinateur de BD — ce n’est pas le genre d’auteur aux 50 albums, 200 séries et millier de pages comme il y en a pas mal dans ce métier —  et plutôt bon graphiste, ce qui est rare dans la profession. Il est plus « mentor », grand animateur de revue qu’auteur à plein temps, pour parler trivialement quantité donc, et ceci, malgré un chef-d’œuvre absolu à son actif (ce qui vaut bien 200 albums).

Capture-d’écran-2011-12-06-à-22.21.19-194x300Mais l’affiche qu’il présente aujourd’hui est assez remarquable, alors même qu’elle reprend le même dispositif que celle de 2011 de Barus : nous sommes dans une rue face à un mur, et donc l’image offre deux plans de représentation spatiale : des personnages dans l’espace suggéré entre nous et le mur, et une image sur le mur derrière les personnages.

À l’arrière plan, un panneau d’affichage couvert d’affiche déchiré à la Raymond Hains (mais dessinant quand même des cases imparfaites), présentant des parcelles de quatre personnages si célèbres qu’on les reconnait au premier coup d’œil : Donc Tintin en représentant légitime de la BD franco-belge (qui lorgne sur les seins de sa voisine, comme l’on déjà noté certain), le menton de Dick Tracy pour l’Amérique du Nord et ce qui pourrait être les jambes de Mafalda pour l’Amérique du Sud, et donc enfin la très « légère » Lamu pour le manga…

Son choix de héros représentatifs n’est pas arbitraire, ni fonction de la célébrité, car chaque personnage est originaire d’une des grandes régions du monde productrices de récits graphiques. Ce qu’il inscrit très intelligemment sur l’image dans l’image, c’est donc la géographie de la bande dessinée… Très intelligemment, car ceci marque une étrangeté de ce médium, qui a la particularité de ne pas être universel. Tous les pays du monde n’ont pas de production de bande dessinée (production de masse s’entend), et que cet étrange genre littéraire s’est pourtant développé de manière quasi indépendante dans de grandes zones éloignées de la planète. C’est un cas assez unique.

Étrangement cette partie « géographique » est en couleur, alors que l’espace tridimensionnel est en sépia, ce qui évoque irrésistiblement la BD ancienne. Ici, sur un 2e plan trois personnages « historiques » : Ignatz, Mickey et le Marsupilami, qui lisent leur BD respective, ou presque… En effet, Ignatz qui devrait lire un album de Franquin tient dans la main le « Maus » de Spiegelman, qui commence à s’inscrire ainsi dans l’histoire…

La profondeur de l’espace est créée par le personnage de premier plan, décentré, qui est une pure souris Spiegelienne, tenant un Ipad lui-même en tant que diagonale, la seule « perspective » d’un espace sinon frontal ! Cette souris, représentant le dessinateur, nous indique donc le futur (ou le présent) du médium : les supports numériques. À remarquer que les quatre personnages qui sont « dans l’espace » ont une étrange silhouette commune… et si le Marsupilami n’est pas une souris… il se trouve pourtant ici comme en famille… formelle !

Je bloque pour l’instant sur ce que consulte la souris sur son Ipad… ça semble très « patrimonial »… Mais plutôt que dire une bêtise, je préfère garder la résolution de cette petite énigme pour plus tard. [ Bon, mon espion dans la place vient de me confirmer l’une de mes hypothèse : C’est du Töpffer, l’inventeur et théoricien… Pas plus patrimonial, donc !]

C’est une affiche très pensée, très construite, qui méthodiquement évoque la géographie et l’histoire de la Bande dessinée. C’est terriblement malin, mais je ne suis pas sûr que l »Art de l’affiche », tout en concision et lisibilité en sorte encore grandi ! Plus qu’une affiche, nous sommes en présence d’un récit graphique… Et alors ? Rien… tout est normal !

[Au passage, ce n’est pas l’affiche, mais le carton d’invitation qui est représentée ici. Je n’ai pas encore vu l’affiche ailleurs que sur une photographie floue de la conférence de presse sur Facebook…]

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