L’épreuve sexuelle

Publié le 22 mai 2014

À partir de :

– La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche
– Welcome to New York,
d’Abel Ferrara
– Nymphomaniac,
de Lars von Trier

Où sont les désirants ?

Dans ce début de XXIe siècle, Le sexe au cinéma est morbide, sadien, triste, marchand, froid, sportif, désespéré… Mais aussi paradoxalement cru et factice. Et devant le rejet à peu près universel que provoque le dernier Ferrera, je me suis demandé si nous n’étions pas arrivés à un point limite ? Car je n’aurais jamais cru écrire ça un jour, mais au cinéma, je sors maintenant moralement et physiquement épuisé des scènes à caractère sexuel.

Mais attention ! Attention, sujet délicat, pain béni pour les puritains de tout poil !

Le problème pour moi n’est pas la représentation de l’acte sexuel au cinéma ou ailleurs… Cette représentation ne me gêne en rien. Elle est même souhaitable. Les sociétés puritaines son étouffantes, invivable et construite sur le mensonge. Le paradoxe ici est justement là : comment des cinéastes, de concert, s’adonnent à une représentation crue de la sexualité qui rejoint pourtant, idéologiquement et esthétiquement le puritanisme ?

L’espoir de voir

Alors, je ne vais pas tomber dans le vieux “machin” de la tension érotique. L’espoir de voir serait mieux que voir. Ne réveillons pas Bataille et ses interdits rétrécis. Non. Voir c’est mieux qu’imaginer, et faire, c’est encore mieux ! Mais restons au cinéma… Ce n’est donc pas la vieille querelle de l’érotisme contre la pornographie. Le conflit entre ces deux termes à champ sémantique flou ne peut trouver de résolution sans définitions universelles. Définitions qui n’existent pas.

Juste dire que le passage à l’acte a sa fonction pleine dans la fiction, et tous les récits ne peuvent étouffer l’espoir d’une résolution. Et mon plaisir au cinéma est resté enfantin et donc je reste peu sensible aux récits déceptifs.

De plus, le cinéma, dans sa véritable histoire, a toujours montré l’acte, cru. L’avantage du réseau sur les encyclopédies très officielles antérieures, c’est que nous savons que dès l’origine, le cinéma a tout montré, comme la photographie.

Je ne veux pas plus faire du moralisme et vouloir absolument que la chair exulte, et donc expurger le cinéma de quelques chefs-d’oeuvre glauques, non. Je remarque juste cette chose inquiétante, c’est qu’aujourd’hui, la chair n’exulte plus du tout. La chair est triste, dans les scènes sexuelles, comme est triste d’ailleurs l’ensemble des films. Et comme je suis particulièrement empathique, j’ai de plus en plus de mal à regarder un film sans en sortir avec un profond malaise.

Aujourd’hui, je ne m’y reconnais pas, je ne m’y retrouve pas. Aucune issue, aucune catharsis, jamais de résolution. Je suis pourtant un lecteur précoce de Sade, ce qui n’a d’ailleurs eu aucune incidence sur rien, sauf sur ma grande tolérance en matière de récit. Ce qui m’ennuie ce n’est ni le sordide, ni le désespoir, ni l’ennui, c’est que ce sordide soit une lame de fond, une tendance lourde, qui comme les médias, tend au performatif.

Et donc, je trouve la représentation de l’acte sexuel actuellement si glauque, qu’elle en vient à contredire sa nature de pulsion vitale, de surgissement, de vigueur, de moteur même du mouvement, de son origine. Elle en vient, cette représentation uniquement négative, à nier son sujet même, et donc, à rejoindre le grand mouvement puritain et frigide qui nous menace tous de stérilisation mentale.

Le sexe ne serait plus qu’addiction, violence et marché, et enfin, qu’un dérivatif, une déviance des « activités saines » de la vie sociale : le travail, la consommation, la famille, la reproduction sans plaisir.

Un comble, puisque la définition même de perversion est une déviance de l’objet de la pulsion libidinale primaire. Donc, hors du sexe et de la nourriture, toute activité humaine peut être considérée comme une perversion. Et en premier lieu, la plus courante et dévastatrice : le travail. cette manière de dégrader le sexe est donc une inversion. Et cette inversion de la charge symbolique de l’acte, massive, n’est qu’un indice de plus d’une dérive idéologique générale.

Et il est assez remarquable que la mise en scène d’un suicide collectif, dans le peut-être plus grand film philosophique de tous les temps, passe aujourd’hui pour un hymne à la vie, à la pulsion vitale, à la jubilation de la chair, au plaisir partagé, et l’on regrette en pleurant la pâte moulée par les fesses d’Andréa Ferréol devant tant de scène morbide, devant tant d’agonie stérile, de mécanique frigide, de simulation mercantile !

Éros planqué je ne sais ou, dans un inaccessible dernier retranchement, Thanatos a gagné, partout, dans le cerveau des puritains comme dans celui des libertins vieillissants et jusque dans les désirs naissants des contes pour adolescent…

Et c’est ainsi que le cinéma me perd…

(Je devrais tempérer ce cri de désespoir en limitant sa portée au cinéma masculin. En effet, il reste des réalisatrices…)

andrea

One comment

  1. Cet article est très intéressant. Je ressens une même… gène, devant des scènes qu’on voudrait vivantes, plaisantes, et qui ont tendance à devenir, comme vous le dites, glauques. Merci donc pour cet article, je vais continuer sur votre site 🙂
    Je tiens juste à vous signaler des fautes d’accords (ou de frappes ?) ici et là, qui perturbe ma lecture d’accro au « bon français », hehe.
    En vous souhaitant une bonne soirée.

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