Maestro : imitation de la beauté

Publié le 28 décembre 2014

En regardant Maestro, de Léa Fazer, je me posais cette question : l’imitation de la beauté produit-elle de la beauté ?

Mais avant ça, une autre question, sur ce désir actuel de quelques auteurs discrets de parler du cinéma d’auteur dans leur film. C’est un sujet en soi, de mettre en scène le tournage ou la promotion d’un film d’auteur, mais aussi d’aborder les problèmes complexes et irrésolus du goût que posent ces objets esthétiques qui peinent souvent à trouver leur public.
Problèmes complexes et nuancés abordés par la distraction des adolescents comme unique critère de financement dans le film de Claude Duty (Chez nous c’est trois ! ), et ici, dans « Maestro », par la rencontre de l’acteur « au gout vulgaire » avec un réalisateur poète, pseudo Rohmer incarnant la notion même d’auteur.

Coïncidence étrange et peut-être symptomatique des thèmes pour ces deux films, qui, autre coïncidence, aborde ce sujet épineux de la guerre des goûts (qui est une guerre économique) de manière pacifiée, compréhensive et même affectueuse.

Pourtant, le symptôme, s’il en est un, semble être celui d’une maladie mortelle qui condamnerait inéluctablement « une certaine conception du cinéma ». C’est, je crois, la mélancolie qui parcourt ces deux fictions. Et celle-ci, dans Maestro, fondant la double mélancolie du double hommage du film à un réalisateur majeur, Rohmer, et à un jeune acteur prometteur mort prématurément, Jocelyn Quivrin

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mais si le film de Claude Duty semble, comme son personnage, impuissant à répondre, et donc accepte le sort (de l’impopularité. De l’impossibilité du financement), Maestro répond en apparence naïvement par la douleur amoureuse qui ramènerait à la poésie, sans accepter complètement son sujet ni ses enjeux culturels et économiques.

D’ailleurs, le sujet n’est pas la conversion (d’un acteur vulgaire découvrant la poésie du cinéma d’auteur), mais bien la disparition, ou pas, d’une manière d’envisager le cinéma.

Mais j’ai l’air d’adhérer peut-être à cette mélancolie-là, alors qu’en fait, j’en nierais volontiers les fondements mêmes. Il n’y a aucune manière d’envisager le cinéma qui soit en danger de disparition, par l’économie ou par « l’abêtissement des masses ».

Le cinéma s’est vécu depuis l’origine comme une industrie, et sa conception comme un espace d’expression d’une subjectivité a toujours été marginale et rare. Et même à l’intérieur de celle-ci, de conception, la poésie n’est pas garantie par le genre ou le mode de financement.

Et le réalisateur poète du film, pseudo Rohmer donc, est inféodé, qu’il le veuille ou non, au nombre de pellicule qu’il peut acheter avec son budget. Mais c’est la marque même du cinéma de Rohmer, le vrai, que de s’épanouir sous contrainte budgétaire. Faut-il répéter qu’il n’y a aucun rapport entre la poésie et le budget ? En fait, la contrainte, en Art, est une part du style. Elle oblige à l’adaptation qui est l’un des moteurs du nouveau. Je ne milite pas pour la pauvreté des moyens (encore que…), mais ce ne peut être un argument. De plus, ce barrage économique à la poésie du cinéma a été largement entamé par deux choses :

— L’accès à tous ou presque à des outils de prise de vue et montage de qualité professionnelle.
— La possibilité de diffusion mondiale pour le prix d’une connexion Internet.

Ça, c’est la réalité têtue (mais niée pourtant) du monde d’aujourd’hui, et elle contredit massivement la mélancolie réactionnaire qui pense toujours que quelque chose de rare va disparaitre (un espace d’expression de l’art. Une possibilité.).

Bien sûr, ces deux points sont bassement matérialistes et ne garantissent pas les possibilités d’apparition de la poésie. Poésie, qui, dans le film, est portée par « la culture classique ». Ce qui déjà est un problème… Pourquoi la poésie passerait-elle par la connaissance de vieux textes ? Pourquoi vieux ? Pourquoi ce qui est vieux serait plus poétique ?

En fait, le personnage dont “l’acteur vulgaire” tombe vainement amoureux répond : la belle et cultivée actrice romantique attend d’un homme une certaine distinction culturelle à travers ce qu’elle appelle “sensibilité”. Mais qui n’est, en guise de sensibilité, que répétition de codes socio-culturels acquis. D’ailleurs, l’acteur ne change pas de goût, mais s’adapte culturellement par intérêt amoureux à des usages collectifs qu’il ne connaissait pas. Et la belle va finir par changer elle aussi (mais elle n’était pas si monolithique. Elle est celle qui capte la poésie de l’instant avec un appareil photo… numérique !).

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La réalisatrice critique donc légèrement cette aspiration élitiste de la belle du film en montrant que « l’acteur vulgaire », geek et infantile, est en fait déjà sensible (il pleure sincèrement parce qu’il a gâché une scène avec son téléphone portable ! Pauvre gars !),  et ceci, sans citer de poème ni s’extasier devant un paysage à la poésie tout aussi codée.

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Mais la belle codée est aveugle à cette sensibilité réelle et immédiate. Et cet aveuglement est une contradiction même de sa demande de perception immanente de la poésie du monde. C’est elle, qui, à cause de la médiation opaque de la culture classique, est inapte à percevoir l’amour présent qu’on lui porte.

Le sujet apparent du film, ce double cheminement de l’acteur vulgaire vers le maestro,  réalisateur subtil, et vers la belle romantique et raffinée, est donc contrebalancé par un double cheminement inverse, plus subtil, du maestro qui s’ouvre à “une actualité de la poésie” qu’il observe dans la modernité de ce jeune acteur, et de l’actrice qui fini par « simplement » tomber amoureuse, en abandonnant enfin les aspirations de sa libido sociale qu’elle prenait pour « goût » et « sensibilité ».

Un enchâssement du sujet premier annoncé par le titre et une manière bien classique de faire porter par les personnages un discours nuancé et subtil sur une guerre idéologique et économique actuelle : culture populaire contre culture élitiste.

Au bout du compte, Maestro s’en sort plutôt juste et bien, sans effet et avec un agréable burlesque léger.

Oui ? Et cette question de l’imitation de la beauté ?

Ha ! Quand même étrange, cette manière de revisiter avec une grande légèreté de ton le dernier film d’un réalisateur rare, en lui tournant autour, comme un simple technicien du cinéma ! Je me disais donc, en remarquant l’esthétisme d’un plan, que j’étais devant l’imitation de la beauté, sans trop savoir ce que ça voulait dire… mais oui, surement, il y a là un sujet, de l’aspiration à, de la volonté de faire, mais aussi d’une certaine déférence et retenue formelle… L’indice de l’amour et du respect que Léa Fazer porte à son sujet et référent. Mais nous sommes en temps post-moderne, et la réflexivité en gigogne de ce film est un marqueur de l’esthétique post-moderne. En ceci, le film contredit son idole, qui cherchait, juste, à retrouver l’immédiate poésie du premier degré (En écho, les conseils du pseudo-Rohmer : “Ne joue pas. Reviens à la langue”).

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