Première coïncidence

Publié le 3 avril 2013

Parce que ce qu’il faut, c’est ça, c’est la coïncidence. C’est comprendre à l’instant, c’est être en phase, bizarre, et que tout ce qu’on t’a raconté sur la vie s’écroule, que plus rien ne marche debout,  que  Newton avait tord, que tu colles au plafond, que la terre plate et pliée en quatre, que les équations s’emmêlent dans le cerveau d’Einstein, que Dieu joue aux dés, que plus rien n’est comme ça devrait. C’est-à-dire ? Et bien c’est tout simple, c’est que là, d’un coup, c’est pas décevant. Parce que la vie, on te la vend décevante, c’est comme ça. Et quand brusquement c’est plus décevant, quand c’est comme dans ta tête, ça tourne au drame, tu comprends plus, et tu frôles le bord de la falaise, et tu sais pas si tu vas pas glisser, ce vertige-là.

Alors, un jour, tu veux quelque chose de toutes tes forces, comme un enfant, et à l’instant où tu veux un truc de toutes tes forces, la fille, ailleurs, elle veut un truc de toutes ses forces, et ça se rencontre, la première fois. Et pour la première fois de ta vie, tu redeviens un enfant, avec la pensée magique et le reste. Mais tu restes sur terre, parce que c’est une coïncidence. C’est à la 2e que tu es intrigué, et à la 3e, tu n’as plus de cerveau. T’es parti, t’es dingue, t’es bon à jeter. Et t’es prêt à tout. Et le monde, le vôtre, n’existe plus. l’argent, le loyer, les impôts, les contingences, ce qui fait la vie, ce que moi parent, j’ai dit à l’enfant, tout ça, tout ça, ça n’existe plus. Plus rien, que chaque jour étrange et douloureux.

Le truc simple, mais qui n’arrive pas. Il faut que je bosse, que je sois sale, poussiéreux, cassé physiquement, une loque, mais que je sois invité chez eux le soir, que je passe et qu’ils me disent, on reçoit ce soir, il y a du monde, des gens que tu connais, des gens des Beaux-Arts… Mais… j’ai pas le temps de rentrer chez moi… mais tu n’as qu’à te laver ici ! Et que c’est trop tard, parce que les gens arrivent. Ça arrive ce genre de chose ? Non. Alors, tu montes l’escalier, et alors que la fête commence déjà, tu rentres dans leur salle de bain, et tu te désapes et tu regardes la baignoire, et tu te dis « et merde ! je les emmerde les mecs des Beaux-Arts, je suis fourbu, ho oui, fourbu ! que je vais me prendre un bain, et que je descendrais quand je descendrais ! » Et voilà, dans l’eau. Et là, dans l’eau… Tu entend les gens, en bas… Tranquille. Et tu entends sa voix, et tu penses à elle, et tu te dis, tu sais pas pourquoi, formulé comme ça, ancestrale magie « qu’elle vienne ! HAAAA qu’elle vienne ! Ho… mais qu’elle vienne ! Maintenant ! ». Ce qui n’arrivera pas. Jamais. Même dans les films, ou alors par hasard. Non, ça n’arrive pas. Et là, la porte s’ouvre et c’est elle. Et elle entre, et c’est normal, et c’est la première fois qu’elle te verra nu.

Et que tout va partir en vrille, ta vie, ton cerveau.