Un Wilson parmi d’autres

Publié le 6 février 2011

« Wilson » de Daniel Clowes, chez Cornelius

Me voilà dans une situation inédite. Je m’offre le dernier Clowes, le dévore, et d’enthousiasme décide d’écrire un billet… Et c’est là que je découvre que mon ami Philippe De Jonckheere avait déjà chroniqué ce livre sur Leportillon.com… Un peu honteux de mon inattention, et n’imaginant pas avoir pu mieux faire, je décide donc de passer mon tour… Mais quelques jours passant, l’enthousiasme de la première lecture ne s’estompant pas, j’ai fini par me souvenir que nous avions déjà additionné nos lectures respectives sur des billets communs ou voisins, et que la chose était très agréable. Je vais donc modestement compléter l’article de Philippe par mes considérations sur cet album si réussi. Et c’est en même temps justice d’additionner les subjectivités sur une œuvre qu’il est impossible de réduire à une lecture trop littérale.

En effet, jusque-là, la dimension parodique des bandes de Daniel Clowes, sa relecture de la tradition tout autant de la bande dessinée que du cinéma US, empêchait de l’appréhender sans une certaine prudence. Mais avec Wilson, nous sommes en présence d’un objet lisible quel que soit l’angle d’approche, et cette clarté qui me semble nouvelle pourrait être l’indice d’une maturité de l’auteur. En effet, cet album semble le fruit d’une conscience, d’une maîtrise technique et historique de son médium. Cet album n’est pas une parodie, mais un hommage, une sorte d’exercice de style totalement réussi, d’évocation ramassée, condensée, d’un siècle de culture populaire. Car Philippe De Jonkheere a raison, le sujet, c’est l’ennui, et la matière de l’ennui, c’est le temps. Et au-delà de l’histoire, Daniel Clowes inscrit son sujet dans la structure même de son album… Et ainsi, cet album est un hommage aux « Sunday Pages », espace-temps immense qui a permis, grâce à l’immensité des formats de ces journaux et à leur pérennité, une expansion graphique et narrative inédite.

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La Sunday page est l’endroit même des innovations formelles ambitieuses, comme celle d’un Winsor McCay ou Will Eisner. Mais la spécificité des Sunday Page est justement d’accompagner la vie des lecteurs, à l’échelle de leur vie, selon la scansion exacte des semaines. Il y a donc une contradiction à lire une évocation de ce genre dans un album formellement « franco-belge », objet unique et fini. C’est bien pour ça que l’objet est conçu comme une imaginaire anthologie d’une «sunday page» dont on aurait choisi les meilleures planches, qui, malgré les manques, permettrait pourtant tout autant de lire l’espace d’une vie de création que l’espace de la vie du personnage. Le cycle les styles graphiques, changeants à chaque page, vient marquer, tout à la fois l’hommage à l’espace même d’invention de ces styles, et simuler l’amplitude de l’évolution d’un style s’étalant sur une vie (peut-être même, dans l’esprit de Clowes, le changement de dessinateur, les séries appartenant aux compagnies, et aussi la relative importance du style graphique pour porter le récit).

L’hommage se répète donc dans la structure de chaque planche, pouvant se lire indépendamment des autres, exercice de style parfaitement exécuté, ou toutes les cases d’une planche ne sont que la lente préparation du gag explosif de la dernière case, contrainte qui n’est plus que rarement respectée par la bande dessinée contemporaine. Après tout, que sait-on de l’importance de ce petit rire du dimanche, dans la longue vie de millions de lecteurs ? Et en même temps, malgré cette autonomie de ces pseudo Sunday pages, malgré l’hétérogénéité des styles graphiques, du réalisme au « gros nez », l’ensemble écrit parfaitement le roman de cette vie sans qualité dont parle si bien Philippe De Jonkheere…

Daniel Clowes a donc réussi, en un seul album, à réunir les temps si différents de son personnage, des gags et de l’intégrité de l’album et évoquer celui, à l’échelle du XXe siècle, d’un phénomène éditorial aussi immense que méprisé.

Un livre parfait.

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