La Renarde2 ou la prospérité du vice

Publié le 4 août 2019

Alors, débarrassons-nous du principal : le tome DEUX de La Renarde de Marine Blandin et Sébastien Chrisostome est enfin là ! C’est un joli livre, tout mignon, et dedans c’est simplement une merveille ! Juste ça : une osmose miraculeuse entre le texte et l’image, et ça devient rare, un sens du tempo parfait, car le strip, Haïku dessiné, ne pardonne pas la médiocrité, un univers visuel limpide, somptueux, et un petit théâtre sombre et charmant peuplé de personnages aussi torves qu’attachants.

Oui. Du baume pour l’esprit, aussi élégant que délicieusement pervers. J’apprends que l’éditeur a eu le bon goût de rééditer le tome UN pour la sortie du DEUX. Parfait. Vous allez pouvoir vous rattraper pour poser dans votre plus belle bibliothèque ce nouveau classique de la prosopopée.

Un mot sur l’esthétique : On ne sait pas trop vers où va Marine Blandin, mais elle y va rythme soutenu, cardio. Son trait a encore évolué, laissant dans ce deuxième tome plus de place aux couleurs, elles-mêmes plus limpides (elle me souffle qu’elle a travaillé « plus grand »). Les harmonies colorées gagnent aussi en subtilité. Les structures des images vont vers l’épure sans perdre du style, réveillant la tension art déco du strip franco-belge. Marine Blandin tient clairement en main un art en expansion et prouve qu’on peut s’épanouir dans le cadre très contraint d’un continuum culturel très balisé. 

Un mot sur la vedette, cette fameuse renarde à la si lourde généalogie : C’est chez Bataille que je lui trouve sa parfaite définition : « la souveraineté communicante »1. En effet, son premier empire est la parole. C’est par elle qu’elle domine et qu’elle jouit. La jouissance par la bouche : ce qui en sort, les mots, ce qui y rentre, les lapinous (il faut en dire un mot). Par sa langue toujours inventive, toujours renouvelée, elle obtient ce qu’elle veut. Il serait donc inutile de lui chercher un positionnement politique, car elle est la politique2.  Elle est éminemment communicante donc, et possède par là, mais aussi par la posture, cette souveraineté qui dispense des tabous. Elle domine son environnement et maîtrise toute altérité sans se départir d’une posture parfaitement aristocratique. Elle représente la morgue, l’élégance et la souplesse de l’esprit face à la lourdeur de la bêtise.

Érotique de la Renarde ? La Renarde jouit sans entrave. C’est bien la seule chose sûre. Les entraves, elle s’en moque, les esquives d’un geste, d’un mot, en tire même le plaisir du surf. Les entraves ne sont pour elle que des obstacles prétextes au beau geste technique, comme pour le skateur le béton urbain.

Mais la Renarde a aussi une vie sociale riche, souvent paisible, et elle ne dédaigne pas faire la leçon, s’offrant même en exemple, prête à partager sa manière, sa posture, et dévoilant les hypocrisies des pseudo-désirs d’émancipation. Plus radicale que La Fontaine, elle moque cruellement les servitudes volontaires. 

Mon titre s’amuse, mais ment. La Renarde n’est pas sadienne, car elle n’est pas vicieuse. Elle ne transgresse pas pour tirer jouissance de la transgression, elle transgresse des interdits arbitraires qu’on lui oppose pour simplement obtenir ce qu’elle veut. Elle prélève, elle en tire jouissance et même une joie claire. Mais il y a bien parfaite concomitance entre ses plaisirs et ses besoins. Il n’y a donc aucun vice, sinon à considérer, comme certains le font aujourd’hui, que sa nature est vicieuse. Elle jouit donc d’assouvir ses besoins, et confronté à la catastrophe qui provoque la rareté des ressources, elle va même changer de politique pour adopter une gestion raisonnée de ces « ressources » (sous la forme géniale des « lapinou-concepts »). 

Oui, la renarde n’est pas sadienne. La faiblesse de Bataille comme de Sade est que la transgression est toujours relative au contexte moral. C’est un contexte culturel que l’on transgresse, le ressort même de l’érotisme chez Bataille. Chez Sade, sans cadre moral acquis, pas de jouissance et pas plus d’émancipation. Voilà toute la supériorité d’une Renarde sans règle sur Juliette, obligé de trouver jouissance dans la transgression des règles conjoncturelles qu’on a tenté de lui inculquer. La Renarde bâillerait d’ennui devant les lourdes mises en scène sadiques. Mais pourquoi tout ça ? La Renarde jouit de ses besoins assouvis. Il est évident que la part de naturalisme de cette prosopopée en strip exclue le cadre moral repoussoir de Sade comme de Bataille. Cette renarde ne jouit pas de transgresser nos règles, et se moque bien de nos religions comme de nos interdits. Elle est souveraine, en toute simplicité…

  1. dans le chapitre « la liberté et le mal » de « la littérature et le mal »
  2. on a le droit de s’amuser aussi avec l’actu

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