Sensible

Publié le 7 avril 2013

« Tu es sensible ! » « Oui » « Non, je dis tu es sensibles, tu es vraiment sensible, de la peau, la moindre caresse te fait plaisir, les mecs, c’est pas comme ça d’habitude » « Et bien je suis une fille, alors… »

danslatelierOn est allongé sur le parquet froid de la pièce du fond, celle de notre atelier, vieil appartement juste au dessus du poste de police. On s’est évadé d’une fête glauque dans la cité, et comme on a les clefs, on s’est réfugié dans l’atelier. Cette pièce, personne ne s’en sert. Elle est vide. Les volets sont fermés, il y a juste une vieille cheminée. Et nous, allongés à même le sol, nus.

On sait que tout le monde nous cherche, et on sait aussi qu’ils commencent lentement à ne plus nous chercher, quand on disparait dans le soir, que parfois, on va réapparaitre quelques jours plus tard. Et que ça ne se négocie pas. Plus de réflexion, plus de résistance, on est perdu, définitivement perdu.

« Ma peau entière est une zone érogène ». Ça l’a fait rire. « Tu veux que je te raconte ? » « Raconte-moi ».

Cet atelier, c’est là qu’on a fait une grosse fête, que le Maire l’a dragué sévère, gras de chez gras, et qu’on avait tout filmé, et que quelques jours plus tard, tout va disparaitre, la caméra avec les films. Magique ! On ne voulait pourtant pas faire de politique !  C’est dans cet atelier qu’on se planquera, des soirs alcooliques, pour qu’elle pose nue. Mais je ne savais pas, je ne la connaissais pas assez pour savoir ce qu’elle me donnait. Je ne savais pas qu’elle était maladivement pudique, que c’était peut-être pour ça que je la rassurais, à ne jamais la brusquer, en rien. Sans que je m’en rende compte, elle commençait à me faire des cadeaux, à moi, qu’elle ne faisait pas aux autres. Bientôt, on changera d’atelier, plus grand, et surtout, plus du tout « planque parfaite ». C’était un pur fantasme, ce vieil appartement toujours disponible pour nous, ni chez l’un ni chez l’autre. Le nouveau sera bien plus grand, mais perdra en intimité.  Une supérette désaffectée, avec une façade en vitrine. Pas génial comme planque… Nous en ferons une galerie, occasionnellement.

« Et bien… je pratiquais mes exercices de respiration, tous les soirs… »

Elle passe encore son doigt sur mon ventre et ma poitrine, juste pour rire de l’onde de frisson qu’elle provoque.

« Quand tu faisais des trucs martiaux ? » « Oui, c’est ça… et puis les histoires bizarres qui me sont arrivées, ensuite… je te raconterais… » « Et ?» « Et donc, le soir, quand tout le monde dormait, j’ouvrais la fenêtre, les volets, et face à la nuit, je faisais mes exercices de respiration. J’étais super sérieux ! » « Ha ha ha ! Comme maintenant ! » « C’est ça, comme maintenant, maintenant, c’est pas les mêmes exercices… et puis, vu comment on boit, ça servirait à rien de faire des trucs sains… » « Ho, t’es chiant, avec tes trucs sains !» « OK, oublie, donc, je fais mes exercices… contrôle de la respiration, et comme tu me fais là, avec tes doigts, les gestes et l’air sur la peau… Et un soir » « Tu vomis ! » « T’es con ! Tu veux que je raconte ou pas ? » « OK, mais plus bas, c’est mieux, dans le silence » « Donc, putain, j’avance pas… tu voudras y retourner, à la fête ? Où on cherche un truc pour boire un coup ? » « On verra… » « Oui, donc, je respire (et je mime en respirant profondément, en me cambrant, et en retombant très lentement) et là, tu vois, tu prends « conscience de la colonne d’air », tout un tas de trucs qu’on disait, et là, à un moment, je jouis ! » « Quoi ? Tu éjacules ? » « Noooon ! Non, je jouis de respirer, mais t’as raison, comme le sexe ! j’ai joui de la colonne d’air, de l’air qui frottait ! Un truc de dingue ! » « C’est possible ça ? » « Si je te le dis ! Et j’ai plus jamais réussi ! mais depuis, je me dis que l’ascèse des mystiques, mon cul ! Tu crois que les types s’enferment pour atteindre la paix, non ! » « Comme Thérèse. C’est une épectase ! » « Heu non, je crois pas ça… c’était vraiment comme une jouissance sexuelle, pareil. Après, j’ai essayé que ça se reproduise, mais jamais, et j’ai arrêté les exercices… » « On se casse Thérèse ? C’est froid » « OK »