La boucle des portes de la nuit

Publié le 5 avril 2017

Les films en une nuit sont des boucles. Je voulais vérifier ça en regardant “Les portes de la nuit” de  Marcel Carné, voir s’il était comme “After Hours” de Martin Scorsese que j’avais vu en salle, à sa sortie.

Réponse : Oui, “Les portes de la nuit” est une boucle.

Je me suis demandé combien j’avais vu de films dont l’action se déroule en une nuit ?

L’extraordinaire “Qui a peur de Virginia Woolf ?”, je crois… et je suppose presque tous les films d’horreur… 

Trouve sur le web une page qui recense les films dont l’action se déroule en moins de 24h… Il y en a une pelletée, et majoritairement des saletés. La concision temporelle n’est pas un gage de qualité…

Et donc, “les portes de la nuit“. Pas l’impression de l’avoir déjà vu. Film beau, mais chiant (apparemment, un critique l’avait rebaptisé “les portes de l’ennui” à sa sortie), relativement dispensable et surtout terriblement sinistre. Bon, c’est du Carné…

On comprend que le public, après la fête de la Libération, n’a pas eu très envie de se plonger dans cette poisse morale aussi noire que froide, sans issue puisque déjà écrite par “le destin” joué par Jean Vilar en oiseau de mauvais augure. Rôle étrange quand même, ce clochard-destin, réminiscence du cœur du théâtre classique, qui balance au personnage, et donc à nous, à peu près tout ce qui va se passer juste après… Un film autospoilé ! Encore une collection à faire : les films autospoilés. (Carné est un habitué, avec “Le jour se lève” 1939, entièrement en flashback)

D’aujourd’hui, il semble évident que ce film de 1946 était dès sa sortie formellement daté, qu’il ressasse encore les codes des fictions d’avant-guerre, mais il semble aussi incroyablement audacieux par le traitement à chaud de la plaie juste frémissante de la collaboration, des trahisons et des compromissions, des deuils et des vengeances…

Comme quoi le cinéma français savait aussi prendre à bras le corps l’Histoire contemporaine. Pourtant, il n’est pas seulement chiant, il foire aussi ça, en n’assumant pas son sujet “brûlant”. La guerre qui agonise dans une grande dépression collective passe au second plan, derrière… une simple rencontre amoureuse ! et le désir de vengeance des résistants torturés qu’on sent frémir à chaque plan terminera avorté, mou et presque ridicule. Les traumatismes de la guerre seront éclipsés en douceur, en mollesse même,  par une bête scène de jalousie amoureuse peu convaincante. Il faut dire que le casting de remplacement…  Nathalie Nattier qui remplace Marlène Dietrich et Yves Montand bébé pour un rôle écrit pour Jean Gabin… Il suffit d’y penser pendant le film pour se rendre compte que le corps des acteurs, ça compte pas mal pour porter la fiction… Quand même… Dommage…

Et la boucle ? Truc de mise en scène. Truc facile, truc formel. Plan général de la ville – Métro – arrivée – action – départ – Métro – Plan général de la ville. Il est intéressant quand même de se demander pourquoi un film en temps ramassé, en une nuit où en 24 h, doit être une boucle ? Comme s’il fallait calquer le temps de la narration sur le cycle solaire ? J’avais déjà abordé l’opposition entre temps cyclique et temps linéaire dans La boucle numérique (sur le GIF animé, etc.) 

Le cycle est une structure facile, comme une évidence, mais le cycle interdit la possibilité du drame (ou permet de tenter de l’éviter, comme dans “Oblivion” pour l’Histoire, ou “Un jour sans fin” pour les petites histoires…). hé oui, le temps linéaire est indispensable à la fiction !

Le scénario de Jacques Prévert est d’un classicisme assumé, avec ce personnage omniscient qui s’annonce lui-même comme “le destin” et ce temps cyclique d’une journée comme boucle temporelle. Mais le temps linéaire impose sa loi, car si le drame était déjà écrit, énoncé par jean Vilard, et que le film est formellement une boucle, temps mythique, la guerre se termine dans le temps linéaire de l’Histoire comme l’amour meurt dans le temps linéaire des histoires d’amour et au petit matin, plus rien ne sera comme avant.

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