Fanny Grosshans et son livre « Washing-Town »

Publié le 15 juillet 2023

Un portrait de Fanny Grosshans et sur Washing-Town de Lisa Lugrin & Clément Xavier au scénar et Fanny Grosshans au dessin chez Actes Sud L’An 2.

Deux ans et demi de dessin. Rien que ça, pour venir à bout de ce pavé sur la vie de Frances Gabe, une inventrice américaine comme ce pays aime en fabriquer, obsessionnelle et géniale, mais qui ne trouvera pas l’écho dont méritait peut-être ses idées. Pour le livre, c’est drôle, enlevé, senti (très dans la première partie surtout et je pense savoir pourquoi : la dessinatrice a deux enfants). Le dessin de Fanny Grosshan est juste enthousiasmant. Le seul défaut à mon gout est la légèreté du cahier final qui laisse sur sa faim.

Pour parler de Frances Gabe, deux réflexions : malheureusement, son utopie n’est pas tant féministe, dans le sens où, si elle tente de réduire la charge que représente la tenue d’une maison, elle ne remet pas en cause l’ordre social, ni la répartition des tâches, ni des rôles. Si une tâche se réduit à appuyer sur un bouton, ce bouton-là reste à charge (mentale) de la femme au foyer (ou pas). Son insuccès relatif (pas mal de choses se verront réalisées par les industriels à la fin du XXe siècle) vient peut-être justement de cette absence de remise en question de l’ordre patriarcal, seulement égratigné par sa prise de contrôle volontariste sur son rôle de ménagère, et qui sera ringardisé par le mouvement féministe des années 60. De la même manière, son utopie ménagère entière est construite sur ce qu’on appelle aujourd’hui l’énergie bon marché, en crise en 1973, c’est historique, et bien sûr qui parait aujourd’hui comme hors contexte (son système est-il « classe A » ou pas ?). Ne parlons même pas du gaspillage d’eau que représente sa maison entièrement lavable… aujourd’hui pure folie ! Et je ne parlerais pas (trop) de son hygiénisme à peine radical et parfaitement névrotique…

Pas de chance.

Le paradoxe et le plus gros problème du personnage pour moi vient que malgré un engagement politique local, son obsession même n’était qu’une manière très américaine de dépolitiser un problème qui l’est éminemment. Mais ça, c’est un regard d’Européen, homo politicus… Et peu importe. Le personnage mérite d’être exhumé et connu, et retrouver sa place dans cette grande utopie moderniste du XXe qui donnera le meilleur et le pire. Et puis c’est un livre très drôle, déjà.

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