Comme « le bar à Joe » de Muñoz et Sampayo relu dernièrement, la cantine de minuit d’ABE Yarô s’en tient ferme à son unité de lieu, cette « cantine de minuit », modeste gargote qui prépare en nocturne ce que veulent les clients avec ce qu’il reste en frigo (parfois même des nouilles instantanées). Chaque nouvelle commande d’un client est prétexte à histoires, anecdotes, souvenirs, et permet de dérouler les petites vies plus ou moins ordinaires des habitués. C’est rapide, drôle et souvent émouvant, c’est immersif malgré un graphisme un peu sec (mais c’est l’un des styles traditionnels du manga comique ou familial), c’est épatant d’humanité et surtout, ça donne faim !
Mais… j’ai fini par prendre au sérieux ce lieu commun créant communauté. Me rappelant les derniers bistros de chez nous, j’ai fini par me demander pourquoi un tel restaurant était inconcevable en France. Je pense que ce n’est pas tant un problème de concept que d’une demande commerciale spécifique se construisant autour d’un corpus commun de produits et recettes d’assemblages, déclinables, dont nous n’avons pas, ou peu l’équivalent. Notre cuisine française, hystérésique, rejouant un vieux rituel bourgeois.
Je ne trouve donc rien de commun en France, n’imaginant pas un compatriote s’accouder à un comptoir pour réclamer « une carotte rapée » parce que ce serait de saison. De plus, s’il existe une cuisine de bistrot aux produits simples, pour toute demande hors carte il faudrait une culture partagée, une culture ou le populaire rejoindrait l’aristocratique, qui permettrait à un petit resto de nuit d’être un lieu commun au sens propre, un lieu qui réellement explicite la communauté.