C’est cruel et beau

Publié le 19 mai 2013

Les humeurs. Je me demande parfois quel sens ça a de poster mes humeurs ici. Et en même temps, je me souviens la première fois que je me suis rendu compte qu’avec les années, ces blogs changeaient ma perception de mon temps. Je me souviens, du malaise, à découvrir que j’avais écrit la même chose à 5 ans d’intervalle, que je revivais les mêmes tourments, que je repassais dans mes traces. Que peut-être, je n’étais que ça, un ressassement perpétuel, mais vieillissant, s’usant, dans une inconscience qui devient une douleur vive lorsqu’elle se réveille… Oui, c’est à la fois précieux et désagréable. Mais il faut assumer ce qu’on est. Une phrase qui veut rien dire…

Comme si on avait le choix.

Julien a réussi. Plusieurs années qu’il tente de me faire inscrire sur Tumblr… OK, c’est l’occasion, là, maintenant, alors que je suis suspendu, paralysé par l’attente, entre deux temps, sans encore savoir, et sans pouvoir agir vraiment. Voilà qui tombe bien, qui me distrait de cette attente. Je déteste attendre, décidément. Tumblr est un réseau social. Quand on aborde un réseau social, on ne comprend rien, et surtout on ne voit rien. C’est froid. Et puis… à un moment donné, quelque chose se passe. On comprend. On passe de l’autre côté, et ça devient chaud, et là, le réseau numérique devient une prothèse. C’est un phénomène fascinant. Hier soir, j’ai senti. Après une semaine à poster et bricoler dans les coins, hier soir, j’ai senti le réseau. C’est devenu chaud, habité, et vivant… Et comme avec facebook la chose pourrait bien m’absorber. Pas trop envie. Va falloir se surveiller. Ha, ces réseaux sociaux numériques ! Comme ceux qui restent loin, ou détachés, ne comprendrons jamais la volupté de la chose ! Et les retombées énormes IRL !

Le changement de civilisation provoqué par le grand réseau, c’est par là qu’il passe. Car la civilisation, c’est des gens, et les gens sont là. Le reste n’est que technologie. Et on s’en fout, de la technologie.

Il y a quelque chose à tirer de Tumblr. Des choses sociologiques, sociétales, pour ce que j’en ai vu. Je laisse venir.

Le premier choc, c’est l’absence de puritanisme. Il n’y a pas de contrôle, comme pour facebook. Tumblr, c’est chaud chaud chaud !

Avec les années, à ne plus être curieux, à rester dans un cercle restreint, ou sur des magasines en ligne à lire des articles trop sérieux, j’avais fini par oublier qu’Internet, c’est avant tout du sexe.
 J’avais fini par oublier les débuts, la découverte, l’ouverture sur le monde, l’explosion brusque des collections, les carnets secrets qui s’étalent, les turpitudes qui s’exposent. Tout ce monde d’images et pratiques rares dans le monde d’avant, enfermé dans des livres spécialisés, planqués dans les placards, occultés par les collectionneurs, qui brusquement débordent dans ton salon ! Un fleuve de vice, un fleuve de pulsion, un fleuve d’expérience, un fleuve de vie.

Tout ce qui fait que le réseau, ce n’est pas une bibliothèque. C’est infiniment plus. C’est comme si toute la société, et toutes ses pulsions vitales habitaient dans l’ancienne bibliothèque. Et pas comme ces lieux sordides, avec ces livres alignés, morts, enfermés et quelques vieilles silencieuses et frigides pour garder sévèrement la solennité des lieux. Me souviens, la première fois que j’ai visité les réserves d’une bibliothèque. La bibliothécaire était fière de me montrer les exemplaires de L’encyclopédie qu’ils possédaient. Elle prend l’un des immenses volumes, immense en plus… et le pose sur une table. Elle ouvre devant moi, pour m’épater, et PAF, elle tombe sur « L’anatomie du phallus », immense comme le livre ! Son trouble, ses joues empourprées, et mon amusement.

Oui, c’est un changement majeur, que la pulsion de vie se mélange avec tout ce qu’on nommait « haute culture », que tout cohabite enfin, contre les anciens cerveaux, accapareurs, voleurs, jouisseurs en secret, élitistes, méprisants, ostracisants, autoritaires…. Tout ces réflexes qui faisaient garder la jouissance pour une caste, en excluant les forces de production, qui devaient, elles, rester concentrer sur le travail, le travail, le travail…

Ici, tout explose. Un ouvrier peut enfin se branler à bon compte, mais aussi faire des rencontres. On ne mesure pas ce que représentent les plateformes de rencontre pour le niveau de frustration sexuelle de la société. Oui, j’avais oublié que le Web, c’était ça, et peut-être avant tout ça. Tumblr, ce n’est décidément pas facebook !

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