Nouvelle cuisine

Publié le 11 septembre 2006

Un film de Fruit Chan adapté d’une nouvelle de Lilian Lee

 

Une nouvelle cuisine sur fond de politique de l’enfant unique, de re-sinisation de Hong-Kong. En ces temps de « débat éthique », le cinéma hongkongais met le fœtus dans le plat avec un gentil conte chinois.

[Contexte psychopolitique : Une Chinoise très diplômée passe du système communiste, solidarité, don (total) de soi… au système hypercapitaliste de Hong-Kong, à la libre entreprise, à l’individualisme et à la perte de tout repère moral]

Une image superbe, un cadre impeccable, des couleurs qui en jettent… contraste chaud/froid systématique. Beau. une beauté presque lassante dans le cinéma asiatique contemporain.

Une ambiance paradoxalement détachée et pesante. Mei, la cuisinière du titre, un personnage nonchalant qui semble insensible au pire sordide dans lequel elle baigne, et qu’elle entretient à souhait. Ching Lee, une femme délaissée. Cynisme. Désespoir. Autodestruction. Préservation. Un cerf en plastique qui tombe sous l’effort d’un jet d’eau. Des ŒUFS. L’œuf symbole de vie, de longévité, œuf centenaire. Fœtus.
Un cadre qui se décentre, qui presse les personnages sur le bord, comme l’âge qui presse Ching Lee délaissée.

Comment parler des contours moraux de l’homme en ayant l’air de rien . Comment laisser venir le drame tout doucement comme en le caressant. L’art du conte. Mei, Tante Mei, méchant loup et sorcière punk à la beauté éternelle fait des femmes des chaperons et des hommes des chevaliers envoûtés.

 

Ce poids que l’on sent, ou ce vertige qui prend au bord du puits, c’est celui de la transgression, du péché. L’occident trop judéo-chrétien ne peut pas en parler comme ça. La chine pragmatique, jusque dans sa définition de l’homme, ose. Ce film montre la lumière de la transgression plus diffuse, moins psychodramatique que chez un catholique par exemple, mais même transgression, et même douloureuse confrontation au tabou. La transgression, toutes les transgressions, sont le propre de l’homme. Tout ce qu’il peut faire, il le fait, ou le fera, et pour des motivations sans cesse plus triviales. Le cynisme est une petite mort, joué avec une extraordinaire subtilité par Mei la dégingandée délinquante-chirurgienne, qui se justifie enfin par l’érudition. Mais on a du mal à y croire. On se demande souvent ce que cache son sourire, bizarre, qui glisse imperceptiblement vers le pincé.

Un film sur la tristesse du temps qui s’étire et s’enfonce dans le détachement moral, seulement rehaussé des haut-le-coeur de Ching Lee, ses rebellions, mais vite rappelée par ses addictions.

 

La jeunesse est une drogue. Quand Mei la dealeuse s’éclipse, Ching Lee la droguée accepte son destin, plus de haut-le-cœur, le détachement l’a atteinte, submergé et la voilà sorcière à son tour, toute nouvelle cuisinière.

Pour le film, le détachement finit en défaut, en presque froideur, mais il ne faut pas oublier que la rareté d’un sujet peut faire toute la valeur d’une œuvre. On pardonne tout à l’enfant unique.

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