Ces quinze derniers jours, j’ai été dévasté et en même temps porté par l’amour de ceux qui partagent ma peine.
Je sens encore tous les mécanismes intimes qui dépendaient de sa présence dans ce monde. Je vais devoir reconstruire tout ça, cet échafaudage interne vieux comme moi, ces petits réflexes dont je n’avais pour la plupart même pas conscience. Toutes ces parts de moi qui faisaient référence à lui. Toutes les choses de lui qui me construisaient.
J’ai eu brusquement l’impression d’être passé ailleurs, dans un autre moment d’une autre vie.
Sur cette autre rive, je pensais m’échouer comme une vieille bête, à bout, mais je me suis découvert un océan de force morale. Alors, je ne sais pas.
Ces disparitions trop rapprochées mélangent les deuils, les sentiments, les souvenirs, et me fabriquent l’une de ces théories macabres chères à l’imaginaire mexicain.
Confusion.
Quinze jours après, des flashs, des réminiscences, des bribes d’expression de sa mère, de son père, de son premier petit frère… Lui est un champ de brume mental, immense comme ma vie, dissolvant tout ce qu’il était dans une poisse insaisissable.
Confusion.
Je travaille toujours au même endroit qu’avant, là, juste devant le portable, mais souvent maintenant j’attrape machinalement le Laguiole que ma mère m’a donné après l’enterrement « Il était dans sa poche, tient », avec une parfaite inconscience freudienne.
Pendant ces deux semaines, exactement, je n’ai pas pu écrire une ligne. À l’exception de salvatrices bêtises sur facebook…
Se laisser le temps.