Lorsque j’ai lu “Le voleur” de Darien, ce texte si intrigant qu’il fait encore jaser sur la véritable vie de son auteur, je me suis dit que je lisais là le lieu d’avènement d’Arsène Lupin, le “Gentleman cambrioleur” de Maurice Leblanc. Les dates de parutions des livres des deux auteurs, si proches, pouvant entériner cette thèse. Je me suis dit ça sans recherche, comme ça, et ne sachant pas que les spécialistes soupçonnaient déjà quelque chose…
Mais je n’avais alors pas encore lu les mémoires de Vidocq ! Voilà d’ailleurs deux textes qui méritent largement la lecture : « le Voleur » de Darien est étonnant, bavard, idéologiquement trouble, aussi trouble que la psyché du personnage, et l’écriture en est presque aussi inégale que les mémoires du célèbre Vidocq. C’est un texte aussi fascinant qu’hétérogène.
Parmi les indices qui plaident pour imaginer Georges Darien en véritable cambrioleur, quelques envolés lyriques étranges dénotent dans un récit plus distancié, c’est-à-dire plus simplement romanesque. Parfois, un moment de bravoure littéraire à la poésie emportée vient scander le récit ironique et viril, comme si l’auteur était brusquement happé par quelque chose qui le dépasse, une confession, une coïncidence entre le texte et sa vie. Troublant.
Quant aux mémoires de Vidocq, elles ne sont pas homogènes pour une raison plus évidente. Si l’on croit Vidocq lui-même, il n’a pas écrit la première partie laissé à un écrivain professionnel sur les conseils de l’éditeur. Professionnel qu’il aurait ensuite viré soit par paranoïa, soit parce que réellement ses ennemis politiques avaient ainsi imaginé manipuler ses mémoires. À la lecture, c’est évident : d’un texte « à charge » rapide et désincarné, on passe brusquement à des mémoires détaillées, ornées d’incroyables conversations dans un argot in-inventable et d’anecdotes croustillantes. Oui, quand Vidocq écrit lui-même ses mémoires, c’est meilleur et infiniment plus riche ! S’il est difficile de considérer ce texte comme un chef-d’œuvre littéraire, il apporte une quantité incroyable d’informations sur la période postrévolutionnaire.
Lire Vidocq, c’est se balader dans le grenier de la littérature du XIXe. Indépendamment de la surprise de découvrir un personnage résolument progressiste, qui démontre contre son siècle la délinquance par la sociologie et exècre la police politique, Vidocq, qui passe son temps à s’évader du bagne, décrit par le menu ses codétenus les plus pittoresques, et c’est dans ces figures-là qu’on trouve éparses les qualités qui annoncent déjà la grande figure du célèbre Lupin.