Baptiste Virot est un jeune graphiste tombé, semble-t-il avec le reste de sa génération, dans les années 80 de ses parents, et accessoirement les années 80 de mon adolescence…
Je parle ici de « Mardi » & « Comedy » (2018 pour les deux, je crois), deux zines fluo imprimés en Riso.
Trois angles pour parler de ces deux bonbons acidulés :
1 — l’influence massive des années 80 sur cette génération. Étrange pour moi, puisqu’à la source s’y retrouvent les auteurs de mon adolescence, période aussi riche en publications périodiques qu’en expériences graphiques. Par le jeu des générations, je rencontre maintenant des gens dont les parents (ou les profs) avaient chez eux les mêmes journaux que moi. Pour être exact, il faudrait ajouter à cette grande source d’influence la pop japonaise qui elle aussi pompe largement les années 80.
Les marqueurs esthétiques sont : les angles, figures géométriques, les matières métalliques, les perspectives déviantes, les contrastes de la couleur en soi. Tout ça né sûrement dans la structuration nouvelle des écoles d’Arts post-68 qui, pour se débarrasser de l’enseignement classique, lorgnaient alors sur le Bauhaus, et en particulier l’enseignement de Johannes Itten. Peut-être. Quelle qu’en soit la source, ces années 80 du XXe sont le moment d’un renouveau de la peinture et des arts populaires ou industriels (graphisme, musique, cinéma, architecture, mode, etc.) dans une explosion de contrastes violents et de structures rigides, sorte de cristallisation du psychédélique antérieur, lui même déviance du POP premier.
La surprise pour moi, donc, c’est de retrouver tout ça comme évidente référence dans les zines actuels, et chez Baptiste Virot exemplairement. C’est troublant juste une seconde, car après tout, le jeu des générations est l’un des moteurs majeurs de la culture (Spielberg a fait en film ce qu’il avait lu quand il était petit). Je ne sais pas si je dois énumérer les sources possibles, comme Jean-Louis Floch, Petit Roulet, Olivia Clavel et les Bazooka, Swarte, Pierre Clément, Peter Pluut, Cathy Millet, Poussin (un dessinateur, pas le peintre), Buffin, Kelek (pour les coiffures), etc. et tous les plus « graphistes » que « dessinateurs » de ce vieux temps très fructueux (mais moins qu’aujourd’hui).
2 — La mode de l’impression Riso. Je ne suis pas le mieux placé pour en parler, parce que je m’en fous, mais il est impossible de parler d’esthétique sans parler des techniques de réalisation ou d’impression, innovations ou modes. Il est clair par exemple que l’explosion mondiale actuelle des micropublications est une conséquence de l’évolution extraordinaire des imprimantes laser, et même jet d’encre (j’en connais qui utilisent aussi ça). Dans ce cadre, la risographie semble être techniquement d’arrière garde (et sa source esthétique date de la décennie précédant les années 80, avec par exemple l’impression approximative aux improbables dégradés de la version BD du journal « Actuel »). Mais quand on y regarde de plus près, si ces machines sont passées des églises aux écoles d’Art malgré un procès laborieux et approximatif, c’est pour la bonne raison qu’on peut y utiliser des Pantones et donc des tons impossibles en quadri… La riso, de ce point de vue, est une forme d’étape entre le CMJN et le RVB, cette couleur lumière inaccessible qui par l’empire de l’écran, est l’horizon esthétique actuel. Mais la mode étant la mode, je vois certains qui utilisent le procédé pour imprimer des tons cassés… à part caprice de riche victime de la mode, je ne vois pas bien l’intérêt. Au moins, et c’est ce qui m’est venu au premier feuilletage de ces deux zines, Baptiste Virot (qui vient de l’école réelle et esthétique de Strasbourg) utilise la Riso pour ce qu’elle apporte d’impossible autrement. Et c’est bien là qu’un choix technique se justifie. Et le résultat est réjouissant. Même si Baptiste Virot n’est pas le meilleur dessinateur de la terre, il y a de l’invention, de l’audace, et même parfois un certain lyrisme visuel dans ses zines modestes. La référence au kitch des années 80 s’y affirme jusqu’au parodique confortant le point 3 :
3 — L’absurde n’est pas seulement belge et est même l’un des territoires de prédilection de la Bande dessinée. C’est une veine ancienne comme le médium qui se réveille chez de nouvelles générations d’auteurs chaque fois qu’on la croit éteinte par l’esprit de sérieux ou les prétentions élitistes, et qui me ramène toujours avec délectation aux premiers ravissements de l’enfance. J’aime cette liberté là de ce médium fascinant. Et Baptiste Virot en est. Il est un absurde rigolard dans le fond et la forme, qui me fait plaisir à l’esprit et du bien aux yeux. Il faudra juste le suivre pour voir ce qu’il nous racontera quand il aura oublié ses études…