Djarabane d’Adjim Danngar

Publié le 5 avril 2023

Djarabane (premier tome) de Adjim Danngar aux éditions Delcourt

Il m’est arrivé de placer dans une conversation qu’avant le Web, nous vivions en disette culturelle. Enfant (années 70), j’étais en manque, constamment, et dans ma gorge je sentais ce vide du manque. Du manque de livres surtout, mais plus généralement du manque d’images et du manque de récits. Il n’était pas encore concevable de consommer de la vidéo. Ma boulimie n’était jamais rassasiée. La TV était rationnée, car « nocive » et la lecture était considérée comme un passe-temps « dangereux », oui, qui écartait des activités de plein air. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde inverse, culturellement pléthorique, et qui paradoxalement regrette que les enfants ne lisent pas assez tout en démonétisant œuvres et auteurs. Autre histoire… Mais tout est relatif. Oui. Et dans l’actuelle outrance culturelle de ce monde, je fréquente des gens plus jeunes que moi venant d’horizon parfois lointain qui ont grandi dans des environnements géoéconomiques si arides que ma disette d’enfance passerait pour abondance. C’est le cas d’un petit enfant du Tchad né à la fin du XXe siècle dont Adjim Danngar a décidé d’entamer la saga en trois tomes. Le premier tome paru raconte une enfance chaotique dans un pays instable sauvée par une aspiration esthétique. kandji (né en 1977), le petit garçon porté par un désir d’Art, n’est pas tout à fait Adjim (né en 1982), et pas tout à fait autre. Ce léger décalage historique, s’il a la vertu de faire coïncider la biographie du personnage avec quelques événements politiques importants, répond peut-être aussi à un besoin de mise à distance romanesque.

Le dessin

La narration est portée par un dessin grisé de traits fins dont les variations et distorsions expressives servent la vivacité des sentiments. L’unité esthétique de l’ensemble n’est brisée que par deux échappées graphiques : les rêves illustrés en papiers découpés très noirs qui scandent l’ensemble (pour ces pages, voir : https://bonobo.net/adjim-danngar-et-le-jianzhi/), et dans le fil du récit, les quelques traces d’art croisées dans l’environnement, uniques trouées imprimées en couleur qui aspirent l’esprit de l’enfant. Mais il y a aussi de l’air dans Djarabane, dans ces grands plans d’ensemble que traverse un dialogue distant, très cinématographique, qui font respirer le récit et apportent une qualité documentaire au livre. Et du documentaire à la poésie, il n’y a qu’un trait, celui qui affirme le climat, comme ces pluies diluviennes qui lavent les sols cuits par les chaleurs torrides.

Le sujet véritable

L’exil est une notion éminemment négative (suffit de faire un tour sur Google). Pourtant, il peut être une aspiration. Je me souviens d’avoir désiré l’exil jusqu’à la douleur sans jamais en avoir le courage. C’était entre 11 et 14 ans environ, et ma vie me paraissait une prison (vie relativement confortable pourtant). Et tous ceux qui ont grandi à la campagne, ou dans certaines banlieues abandonnées, ou dans n’importe quel lieu ou règne ce qu’on nomme parfois l’anarchie de droite et la désertification culturelle qui l’accompagne, trouverons surement des équivalences à l’expérience au monde du petit garçon tchadien. Mais surtout, ceux dont l’enfance était aspirée par autre chose, et qui s’échappaient déjà de leur condition par des interstices aussi rares soient-elles, comme ici une peinture murale sur une échoppe, ou un poster vif sur le mur d’un salon austère, comprendrons le vrai sujet d’Adjim Danngar : l’exil est d’abord spirituel et il est une aspiration.

  • Notes ouvertes pour ce premier tome d’une vie ouverte…

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