Construite sur la croyance en un étrange monde toon d’avant la naissance et d’après la mort, une secte prospère et périclite le temps de la longue vie de son gourou, Toonzie, alter ego de l’auteur. Et l’auteur étant encore relativement jeune, oui oui, raconter la vie entière du gourou et de sa secte nous projette dans un futur proche, mais suffisamment lointain pour que je ne sois pas trop concerné… Et d’ailleurs j’espère bien échapper au « soleil en mode ultraviolet » de cette « Coolifornia » du futur ! Mais Toonzie n’est pas tant un livre de science fiction qu’un nouveau genre de bande dessinée oraculaire, sorte d’autobiographie par anticipation, mais [hors le voyage toontastique qui scande la chose principale] sans la narration subjective attendue, et plus comme un exercice romanesque parfaitement classique. Toonzie, le gourou, c’est la Bovary de Xavier Bouyssou, à la fois lui, à la fois nécessairement autre, puisqu’encore non advenue. Toonzie, le livre, est lui le roman d’un possible, d’une projection de soi dans un futur crédible, plus crédible que bien d’autres d’ailleurs par la continuité brinquebalante de ce qui est déjà là et de ce qui est déjà annoncé. Mais le vrai choc romanesque tient par la dimension quasi documentaire sur le fonctionnement de cette secte fantaisiste, mais crédible, décrite sans fantasme, sans outrance, et avec une évidente humanité et même empathie par un auteur qui semble avoir tendresse et compréhension pour des personnages pourtant passablement pathétiques. De n’importe quelle secte, les adeptes sont pathétiques, mais pour Xavier Bouyssou, pas plus pathétique de chacun d’entre nous, et les quelques clins d’oeil aux possibles évolutions idiotes de notre société idiote n’y sont pas plus glorieux. L’absence de caricature et d’outrance, dans ce qui s’annonçait esthétiquement comme un délire acidulé, est très surprenante. Bonne surprise, d’une ambition autre que l’on n’est pas obligé d’attendre du médium ; j’aime les débilités gratuites dont il est capable, par exemple ; mais inutile de bouder son plaisir quand malgré les moyens pauvres (au sens d’art pauvre) de la bande dessinée, s’exprime un art subtil de la mise en scène. Et on n’est pas loin, même si tellement autre, de la manière dont, chez le même éditeur, Sophie Guerrive transcende son esthétique même pour accéder à la poésie pure. Ici, au roman, tout simplement. Ce roman « graphique » si souvent annoncé pour des raisons de rayonnage de libraire, mais si rarement atteint. Xavier Bouyssou, dont j’aimais déjà les fanzines, m’a agréablement surpris. Ou plutôt :
Je suis étoonné. Au sens étymologique : foudroyer par un toon.