[dropcap]I[/dropcap]l y a une qualité d’une œuvre qui est au dessus des autres qualités. C’est une chose dont on parle peu, car elle est difficile à saisir. Elle est subjective, rare, pas du tout rationnelle, elle ne s’enseigne pas, ne peut se fabriquer à partir de règle… Pourtant au bout du goût, au bout de tout jugement esthétique, c’est la petite qualité qui fait la différence. Cette qualité, c’est le charme.
Pour comprendre de quoi il retourne, il suffit de penser au cinéma de David Lynch… Même si l’on a parfois l’impression «que quelque chose nous échappe », et même si l’on pourait se laisse aller à soupçonner qu’en fait, il n’y a peut être rien à comprendre, ce cinéma fascine… Il fascine, alors même que l’objet culturel ne semble répondre à aucune règle du genre…
Ainsi, on n’enseigne pas le cinéma de David Lynch… (Même si j’ai eu des cours sur lui à la Fac). Et c’est si vrai que ceux qui tentent de lui voler cette chose qui fascine, qui tentent de capturer l’atmosphère lynchienne, échouent tous. Il y a donc quelque chose, une toute petite chose, ingrédient secret, qui fait que ce qui devrait être ridicule, rideau rouge, musique à grosse ficelle et personnages caricaturaux, nous embarque pour un étrange rêve éveillé.
Ce phénomène, c’est le charme… Et je crois aujourd’hui qu’aucune œuvre ne m’a touché par autre chose… Aucune. Le charme est si puissant, comme qualité d’une œuvre, qu’il permet de se dispenser de toutes autres qualités. Nombreux sont ceux qui veulent t’enseigner comment raconter une histoire, comment la structurer… Mais y a-t-il vraiment une recette ? Le film considéré aujourd’hui comme le plus grand, Vertigo, est une répétition d’une même structure avec symétrie centrale. Aucun scénariste n’oserait, aucun producteur n’accepterait ça aujourd’hui ! Et pourtant…
Donc, l’intégralité des conseils en la matière est inutile. Absolument et définitivement inutile, car le charme est inattendu, et les conseils, eux, toujours attendus…
Tout ça pour toucher du doigt ce qu’on n’arrive pas à toucher, justement… Cette petite chose merveilleuse qui habite les eaux chlorées et si trompeusement limpides des Fables nautiques de Marine Blandin… Cette jeune auteure à su créer, très simplement, un petit univers clôt, celui d’un centre nautique, qui nous capture au point de ne plus vouloir en sortir… Et d’ailleurs, pour évacuer le reproche tout de suite, c’est le défaut du livre, de finir par répondre aux codes de la narration, comme l’on répond au Code de la route, et donc, irrémédiablement nous extraire de l’histoire ! Mais l’avions-nous demandé ?
fables2Alors, pour cette petite chose-là, j’ai mis longtemps à me décider à poster mon article, ne voulant pas peiner l’auteur que j’ai la chance de croiser souvent, puisque nous sommes presque voisins… Oui, je n’arrivais pas à me résoudre à noter ma petite déception alors même que ce livre contient une chose aussi inattendue que ce charme insaisissable des œuvres oniriques. Il y a une jubilation enfantine à découvrir sa théorie de personnages drôles, burlesques, surréels et même inquiétants. Il y a une autre jubilation à sentir monter le mystère dans ce cadre qu’on imaginait limpide, transparent, hygiéniste et pragmatique…
J’ai maudit le genre et son formatage, quand j’ai compris que nous aurions la clef de cet énigmatique barbotage en un seul petit volume. Moi, je voulais au moins autant d’épisodes qu’a pu en vivre le personnage paranoïaque de Patrick McGoohan ! C’est ça que je voulais, rester coincé longtemps dans ce lieu étrange, dans ces eaux mystérieuses, parmi ces êtres exotiques au comportement si intrigant ! Oui !
Voilà, je me suis enfin décidé à formuler une légère réticence à propos d’un livre que j’ai aimé. C’est agaçant. Mais en fait… je m’en fous, parce que Marine Blandin est jeune, elle débute, et ce livre DOIT être le ferment d’une œuvre riche et pléthorique !
Oui, j’attends maintenant beaucoup de ma voisine ! Elle l’a bien cherché !
Lune l’envers et vice de forme | BONOBO
[…] Le charme… Que j’évoquais ailleurs puisqu’une amie bien plus confidentielle avait parfaitement réussi là… […]