Parfois je crois que je nage, tranquille, et même je suis pris d’une sorte d’euphorie qui me porte à accomplir, mais très vite je ne sais quoi faire de cet élan et l’impression d’avoir gaspillé quelque chose me remplit d’amertume.
Je me retrouve toujours à surnager, sur-vivre, et même à me noyer entre deux eaux perpétuellement balancé entre l’envie de me laisser couler et celle de vivre vraiment, sans savoir ce que vivre vraiment peut bien vouloir dire. Je suis traversé par trop de choses et ces choses ont trop d’emprise sur moi. La beauté me foudroie et elle est tellement partout, autant partout que la bêtise absolue, mal moche, chose simple obtenue la plupart du temps par inertie, l’autre part du temps par une limitation de la perception du complexe. La conscience en cela rend mauvais puisqu’elle rend conscient de sa bêtise et de son mal. Mais souvent la beauté me submerge, allant par un grand flot jusqu’à noyer ma voix. Lorsque je dois écrire cette voix, la beauté balaye tout. Cette beauté qui comble le moindre interstice du monde et que je tente de fixer grossièrement sur des images dérisoires. Je tremble, pris de frisson de tout ce qui m’est visible et me rend seul. Je dois ouvrir le flot de ma voix au risque de couvrir la beauté et de m’aveugler gravement. Il m’est impossible de dire ce que je vois et donc je ne peux que m’abandonner à la voix qui traîne ses défauts d’embouchée.
J’espère parfois, et ça, depuis très longtemps, que tout s’inscrit automatiquement sur un immense livre. Il m’est insupportable d’imaginer qu’il ne reste aucune trace de la beauté dans sa totalité. Même si une parcelle me foudroie, j’espère englober tout, comme lors de ces accélérations de mon esprit sûrement malade. Et encore, je sens le temps, fais sens de tout, et perçois pour moi seul la matière intime de tout. Je suis prêt à m’effondrer.
Il faut bien que j’avoue avoir de plus en plus de mal à me situer dans le temps. Suis-je à mon agonie ou à ma naissance ? Mon présent s’étale et je glisse constamment sans me fixer un instant. Perpétuellement distendue, comme la peau se décolle de la chair. Je sens cette matière dont l’homme doit vivre. Je glisse. Je vais donc tomber. Il n’y a pas d’équilibriste qui ne tombe. Certains se perdent dans leur poche minuscule. Je me bas contre un océan, contre un gaz que je ne peux pas respirer, sans pouvoir être mon propre prédicateur. Je suis désarmé face à l’évidente beauté des choses nues. Je devrais m’en défendre. L’instinct de mon espèce rase violemment ces dangers. Je ne suis pas armé. Encore je glisse. Et les algues m’attirent. Comme les sirènes d’Ulysses. Mon mat tient droit ma vie, en équilibre instable, le vertige. Un sexe roide pousse ma tempe. Je suis mal roide. Arc-Bouté. En rébellion constante. Je suis vivant.dans la trop grande beauté de l’agonie du monde.