Pour la prescription, je sais d’où me vient la lecture de ces trois polars de Lorenzo Lunar, écrivain cubain dont je n’avais jamais entendu parler. Natacha Levet, qui me guide dans le polar contemporain comme Golo et Frank m’indiquaient les classiques, me conseille entre autres un polar pour rire, léger, et c’est exactement ce que je cherchais il y a quelques semaines, une lecture légère : « Je reste roi d’Espagne » de Carlos Salem, Argentin qui vit en Espagne. Lecture en effet drôle, légère légère, codée comme il se doit, presque enfantine et souvent plus proche d’un album de Mortadel et Filemon que de ce qu’on attend d’un bon roman noir. Mais, mais, avec quelques qualités malgré des phrases traduites à la serpe. Et l’humour rachète beaucoup. Donc lecture en demi-teinte de ce « Je reste roi d’Espagne », jusqu’à ce qu’à l’intérieur même de la fiction, une réflexion du personnage sur « l’excellent roman du Cubain Lorenzo Lunar » me réveille. Quoi ? Qui ? Je suis curieux, me demande toujours si c’est une fuite de la fiction… Je cherche et trouve, réel, Lorenzo Lunar écrivain cubain de littérature enfantine, mais ayant écrit une trilogie noire sur le quartier de son enfance. Son flic s’appelle Léo Martin, et enquête dans « Boléro noir à Santa Clara » (L’Atinoir 2009), « La vie est un tango » ( Fictions Asphalte », 2013), et « Coupable vous êtes » (Asphalte aussi, en 2015).
Franchement, franchement, je n’y connais pas grand-chose (en polar), et je ne sais pas si c’en est vraiment du polar… Il y a bien un flic, des meurtres, des trafics et une prédilection pour les putes nombreuses, car il y a peu de manières de survivre dans cette économie exsangue, mais les enquêtes sont surtout prétextes à rencontrer des habitants de Santa Clara. Et l’ensemble se résume vite à une simple galerie de portraits saisissants dessinant le paysage tout autant saisissant d’un quartier populaire d’une petite ville cubaine. Mais je suis rentré naturellement dans les 3 livres, avec un mélange légèrement coupable de plaisir et d’intérêt. Coupable, parce que c’est enfin prendre plaisir à la misère des hommes. Bah ! Prendre du plaisir à la misère du monde est après tout l’un des grands ressorts du polar !
Évidemment, s’il est très difficile de juger une écriture traduite, j’en garde pourtant l’impression que l’auteur change heureusement de registre au 3e livre, comme si les deux premiers n’étaient que volumes d’échauffements, ou d’apprentissages, et qu’enfin dans « Coupable vous êtes » quelque chose se passait dans l’écriture même, et ceci, malgré le dérapage grand guignol du caméo du romancier en personnage grotesque dont le héros se moque, too much. Cette autocaricature passe plus comme indice de vanité que comme distance ironique. Mais peut-être suis-je en train d’interpréter quelque chose qui avait un autre sens dans le texte d’origine ? : feuilleton radio qui passait dans la ville même, et donc, sûrement parsemé d’appels à connivence qui ne peuvent que m’échapper. Peu importe après tout, si je n’ai aucune certitude sur l’écriture et quelques réticences, il me reste le récit, et clairement, Lunar est un raconteur, et c’est déjà beaucoup, et c’est la source du plaisir.