L’affichette

Publié le 29 août 2007

J’emporte mes jolies radios de mon crâne chez mon médecin. Enfin, pour être exacte, chez la remplaçante de mon médecin, qui lui est en arrêt maladie depuis des mois… Impossible de savoir ce qu’il a… J’approche de la porte ancienne, assez mal entretenue. Je suis arrêté par une affichette sortie d’une imprimante laser, épinglé à la hauteur de mes yeux. Je commence à lire machinalement, mon bras qui se dirigeait vers la sonnette comme suspendu un instant. Mais je ne sonne pas, et je ne lis pas jusqu’au bout. Je reste hébété, collé à la porte… Mon médecin est mort. L’affichette m’apprend ça… Mon médecin est mort.
Je rentre enfin. Je me demande quelle ambiance je vais découvrir dedans. Comme si j’avais reçu une légère claque, une sorte d’état vaguement vacillant. La salle d’attente est pleine, et semble à peu près normale.
Je m’assois. Sur la chaise à côté, un « Closer» est abandonné.
Je regarde cet étrange spectacle, cette salle d’attente, ces gens. Il n’y a rien. L’un des trois médecins est mort, simplement, et le flux des malades continue. Il y a quelque chose qui ne va pas. Je n’arrive pas à comprendre quoi. Une vieille, très vieille, entre et s’approche du guichet de la secrétaire. Elle commence à parler. Je comprends instantanément qu’elle, elle va en parler, elle va parler du médecin… « J’ai appris ça… elle porte sa main à son front, et… je… Je n’arrive pas… C’est si horrible… » La secrétaire qui semblait vouloir l’écouter au premier instant, se détourne et répond au téléphone. La vieille parle dans le vide. Sa voix s’éteint.
C’est tout. Rien d’autre.
Face à moi, cette étrange image de golfeurs. Un paysage qui pourrait être le Pays Basque. Sur un vallon, des golfeurs. Le soir tombe et les ombres s’allongent, les contrastes sont accentués, des traces noires sur l’herbe. Les golfeurs sont surplombés par un mont dont tombe une brume lumineuse. Étrange image, laide, mais si bizarre… Je vois bien ce que le mec a voulu faire. L’ambiance y est. Le sujet si trivial, et l’ensemble un peu bancal, un peu sec. Une figuration de profession libérale, vulgaire, de droite, trop faite. Une image de médecin. Je me demande brusquement si c’est une image de son paradis… s’il était golfeur… S’il est là, parmi les golfeurs qui profitent des dernières lueurs du jour pour jouir encore de leur passe-temps… avant de rentrer pour retrouver leurs femmes qui ont fait les magasins ou été à la plage avec les gosses… Où peut-être sont-elles restées au bord de la piscine ?
C’est mon tour. La jeune, très jeune remplaçante se comporte normalement, sourire d’accueil et poignet de main. Dans ma tête, ça tourne… je suis dans le bureau du mort, avec ma tête de mort dans mon sac plastique. La déco n’a pas changé, la même reproduction de Sisley au dessus du fauteuil, celle que je fixais quand il faut être sur la table de consultation… C’est troublant. Je me dis, j’en parle, je n’en parle pas… Je dis quelque chose… mais quoi ? Comment présenter la chose ? Ça tourne dans ma tête et toute parole potentielle me semble déplacée. La consultation passe et je n’ai rien dit, rien, même quand le sourire de la jeune médecin se plisse extrêmement subtilement au moment où elle raye le nom du mort, sur les ordonnances, avant d’écrire le sien au-dessus… Une double biffure. J’épie la commissure de ses lèvres, pour distinguer si quelque chose se formule en elle, si le sens se fait, monte, et vient suinter à la surface de la conscience… Je ne sais pas. Une légère flétrissure du sourire… Si subtile.
Ce médecin. Je pense à lui. Quel drôle de mec. Toujours un étrange sourire absent, des réactions à contre-temps, une lenteur, une lourdeur même. Un drôle de gars. Je le trouvais étrange, j’avais l’impression qu’il se foutait bien des maladies de ses malades, jusqu’à ce que j’aille vraiment mal, il y a deux ans, et alors, il m’a écouté, écouté, et avec ce détachement, ce sourire à contre temps, il m’avait aidé.
C’est tellement bizarre… Il avait dans mes âges… Dans la rue, je revois la jeune médecin rayer son nom, deux fois, pour les deux ordonnances… Et cette salle d’attente à l’ambiance immuable, cette secrétaire à l’air immuable, ces gens désagréables, ce mec qui demande si le « Closer » m’appartient avant de le prendre… Toute la journée, je vais dire, comme ça, d’un air le plus anodin, avec une absence totale d’à-propos : « mon médecin est mort », provoquant des réactions diverses, en fait, souvent, le rire…

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