Dans ma bibliothèque, ce fin volume compilant les manifestes de Tzara, édition 1967. C’est le premier de Libertés nouvelles seconde collection étroite de J.J. Pauvert, qui suivait sa collection Libertés que j’aime tant. Mais je dois dire que cette suivante, qui a troqué le kraft pour de la couleur sur pelliculé glacé a une chiée d’allure pop. Sinon, on n’est pas encore dans l’impeccable travail de fac simulé que proposera Allia pour les cousins, mais l’objet taillé mini par pierre faucheux est si séduisant qu’on lui pardonne tout.
Et Tzara ? Je reste persuadé qu’il est impossible d’extraire Dada de son contexte, de la guerre, de cette guerre là, comme le font pourtant tous les ados du monde quand ils découvrent l’Art et la poésie, et comme je l’ai fait moi même je suppose à l’époque. Il m’en reste d’ailleurs un fumé de fétiche, un attachement sentimental. Et après tout, qui peut imaginer la force d’une crise d’adolescence pendant cette grande boucherie ? Mon exemplaire, que j’ai trouvé je ne sais ou, avait été annoté par le précédent propriétaire. Et ce qui est annoté n’est que tronçons de phrases qui semblent appropriables, actualisables. Qui semblent, car élargi au chapitre, il n’est pas possible de les extraire de leur gangue historique et psychologique sans les trahir. Tous les ados qui fantasment sur le dadaïsme, et moi en mon temps, ne font que le trahir. Il faut entendre les bombes, être coincé loin des capitales culturelles et avoir été humilié par Marinetti pour écrire Dada. Tristan Tzara a des raisons viscérales immédiates et nécessaires qui, même si certaines semblent persister, transposables, tirades sur la bourgeoisie ou l’Art par exemple, n’en sont pas pour autant particulières. La jeunesse, dans cette guerre-là, a vu toutes les espérances bafouées, toutes les promesses trahies, toutes les valeurs déchiquetées, et il fallait pourtant vivre. Le Dadaisme est une stratégie, non pour continuer à trouver de l’espérance, mais pour nier tout, et tout positif comme tout négatif. Une sorte de recherche de point neutre, par la langue pour Tzara, mais entachée d’une impureté personnelle. Car il y a chez Tzara une morgue de mauvaise foi, qu’on retrouvera dans sa manière de raconter l’histoire, qui refuse la réception et le marché tout en crevant d’ambition frustrée. Le Dadaisme est à la fois puérile, adolescent, et héroique. Mais quoi qu’on pense de ces textes d’une jeunesse frustrée, car ce n’est pas grand-chose d’autre, ils valent face à l’éternité pour leur postérité, fructueuse contre toute attente, pour une posture qui n’attendait rien disaient-ils. Oui, beaucoup de choses n’auraient pas eu lieu sans eux, et beaucoup d’art, de spectacle, de performance, de poésie, de chanson même. On ne peut rien contre la génération, et Dada a une progéniture chaque génération renouvelée, partout, et encore aujourd’hui.
Mais, on peut préférer les berlinois…