Et de deux. Deux en peu de temps !
Après Ben Laden, Maintenant Kadhafi ! Zou, escamoté !
Deux monstres médiatiques, de « vrais » monstres virtuels, pour faire dans l’oxymore, dont le corps disparait on ne sait ou… ou plus précisément, « on» nous explique que le corps, ce corps du monstre enfin mort, va être perdu quelque part, ce quelque part étant volontairement inconnu.
Tombe de Ben Laden :
Voilà la création d’une forme d’anti-tombe du Soldat inconnu… tombe qui elle, est parfaitement localisée, alors même qu’elle contient un corps de soldat non identifié, pas un cénotaphe, mais une autre chose de l’ordre du symbole, pour créé un lieu de pèlerinage, ce même genre de lieu de pèlerinage qui dans le cas de nos deux monstres disparus fait si peur à… à qui en fait ?
À un « nous » très particulier, un nous ancien, peut-être né de la 2e guerre mondiale. Et ce « nous » là nous dit que nous avons encore un « camp », et que ce « camp », comme le signale André Gunthert ici, s’imagine autant « culturel » que « racial ».
Ce monstre est pourtant parfaitement « imaginaire », puisqu’entièrement médiatique. En effet, j’aurais eu peu de [mal]chance de croiser Ben Laden ou Kadhafi dans une ruelle de mon quartier, à minuit… Et cet escamotage du corps du monstre, au-delà de l’étalage de l’image de la mort pour Kadhafi, et absence d’image de la mort pour Ben Laden, me semble l’indice de deux trois choses problématiques.
En premier lieu, le simple fait d’avoir peur d’un futur pèlerinage parasite la construction méthodique du monstre. On ne fait pas un pèlerinage sur la tombe d’un monstre, mais sur celle d’un héros. La peur du pèlerinage indique donc avec certitude que « nous avons un camp », que nous, « à l’insu de notre plein gré », sommes enrôlé dans une guerre, avec des ennemies, aux intérêts inverses, mais tout aussi légitimes que les notres, donc, puisque le monstre pour nous passerait pour le héros pour « l’autre camp ».
Je — drôle de « je » — suis donc en guerre et je ne le savais pas !
Ensuite, pour creuser, cette trouille du pèlerinage semble l’indice d’une forme de paternalisme, comme un parent qui empêche son enfant de sortir de peur que, et donc serait l’indice d’un complexe de supériorité de « notre camp » (le blanc, aller, n’ayons pas peur des couleurs !). En gros, le message est : ces gens sont infantiles et s’attachent à de faux prophètes qui les embobinent, mais nous, nous savons que ce sont des monstres, et il serait dommageable « pour eux », qu’ils viennent se recueillir sur la tombe d’un « vrai monstre ».
Hum… Tout ça n’est pas joli joli… et au passage contre-productif, car sans tombe le monstre devient mythe, et c’est pire !
Cela dit, c’est autre chose qui me tracassait…
Tombe de Kadhafi :
Cette autre chose me concerne plus, moi, en tant que du mauvais coté des médias. Car cet escamotage du corps du monstre me semble un paternalisme à doubles effets, pour ceux qui pourraient nier la nature du monstre, et pour moi, infantile spectateur, qui ne supportera pas la vision du monstre, et alors je trouve que cette stratégie des armées en guerre ressemble beaucoup à celle d’un parent qui dit à son enfant : « regarde, il n’y a rien sous le lit, rien du tout ! ». Et je n’aime pas ça. Je n’aime pas ce que je ressens à travers ça. Je préférerais donc voir quelques illuminés en pèlerinage sur une tombe plutôt que cette manie étrange qui infantilise tout le monde, et qui valide au passage la transformation d’un sale type très commun parmi les sales types de l’histoire humaine en vrai « monstre » des mythes.
NLR
Loch-nessisation : action d’escamoter des cadavres de monstres médiatiques en des contrées vastes et mystérieuses (la mer, le désert, la taïga), de façon à ce que leur fantôme hantent celles-ci pour les siècles des siècles. (Et fassent peur aux petits enfants à l’occasion.)