Il aura fallu ce souvenir persistant de cette lecture adolescente des « Machines célibataires », avec ce souvenir de son compagnonnage avec Breton et cette envie récurrente de relire ce livre qui liait Kafka à Duchamp et dessinait les contours d’un mythe contemporain pour que j’ajoute ce Carrouges-là de 1954, parfaitement neuf, non coupé, vierge, au titre très parisien, à ma collecte de livres dans cet Emmaüs sur le bord de la route de mes très courtes vacances. J’ai bien raison de ne pas être nostalgique. Je me suis souvent demandé ce que je découvrirais aujourd’hui si je relisais les Machines Célibataires ? Je le soupçonne un peu à la lecture de ce petit roman plan-plan, médiocre mélange d’Huxley, de Lewis Carroll, d’utopie bourgeoise, et de n’importe lequel de ces romans de voyage fantastique du XVIIIe. Ajoutons-y la mythologie chrétienne en guise de sauce et une écriture pas franchement enlevée, et je me demande bien ce qui m’a poussé à aller jusqu’au bout de ma lecture, et donc, du découpage laborieux des pages ? Mystère. Une espérance conforme à celle du personnage ? Même pas. Il ne faut décidément pas racheter son enfance. Ni son adolescence. Que vais-je me plaindre ? J’ai payé 4 euros pour un tas de livres parce que j’avais innocemment glané avec La Cathédrale de Joris-Karl Huysmans et que le compagnon et polonais et très catholique m’a ostensiblement signifié que je payais beaucoup moins cher que le client précédent, car je prenais un « bon livre », tapotant du doigt sur « cathédrale »… Il m’a fallu une seconde pour comprendre le malentendu, mais après tout… Donc ces Portes Dauphines, un personnage qui bascule derrière le miroir par une machine à sous de bistro Porte Dauphine, et pérégrine dans une ville étrange aussi futuriste d’archaïque, politiquement construite comme une maison bourgeoise du XIXe (tu parles d’une utopie !) peuplée quasi exclusivement de belles jeunes filles et de cuisinières… Ben tient ! Cuisinières tuables à souhait et instantanément remplaçables, car il ne faudrait quand même pas cesser de jouir des bonnes choses ! Bon… et c’est tout, juste une quête libidinale, mais puritaine, qui se fait passer pour mystique, vaguement, et qui se réduit au bout à une obsession de la valeur sociale de l’appariement hétérosexuel. Tout ça pour… rien, puisque tout ça ne va nulle part, comme le personnage, qui en reste là, suspendu, nulle part, car au moment d’y aller (à l’aventure ?) il n’ira pas, restant au bord, et nous avec. Michelle Carrouges, écrivain laborieux, a mis bien trop d’ingrédients dans ce voyage initiatique qui n’initie à rien, même pas au vide.
Les Portes Dauphines de Michel Carrouges
Publié le 20 août 2021