« La grande pagaille du Diletta », le gros Tezuka qui vient de paraître chez FLBLB, n’est pas l’un des chefs-d’œuvre de Tezuka, et n’est pas non plus l’un de ses meilleurs Gekigas, ce genre auquel il avait résisté avant de s’y adonner pour y produire son meilleur. Ce n’est donc pas un chef-d’œuvre, mais un Tezuka quand même, et au bout, un curieux roman de science-fiction un poil psychédélique pour coller à son époque, emprunt d’un érotisme superficiel, mais grotesque, et surtout assez hystérique pour être entraînant. Tezuka a cette manie de tout absorber et de tout tester, et dans ces années là, la fin des années 60, son style se calque sur l’époque, se déliant, délitant presque, et s’amusant de tout, expérimentant sans inventer, mais avec une légèreté déconcertante. Tezuka est un grand recycleur et un grand malade dessinant ses personnages comme s’il avait une caméra (l’ambition du réalisateur), jouant du cadre comme s’il filmait à l’envers, pour rien, comme ça, avec une décontraction qui épate.
Le scénar est une forme de fantasme de toute puissance de l’imagination du mangaka, et surtout ne croyez pas l’éditeur qui raconte n’importe quoi en 4e : personne n’est jeté » du haut d’un immeuble (il glisse juste sous une dalle de béton, mais « du bas »), et le Dileta n’annonce en rien l’Internet, réseau de pair à pair ou chacun peut être émetteur et récepteur, c’est-à-dire le principe inverse du Diletta Tézukien, sorte de TV mentale respectant à la lettre ce bon vieux Marshall McLuhan. Si on oublie cette interprétation fallacieuse, le Diletta reste un gros livre cynique assez étrange par la lisibilité trouble, instable, des métaphores presque pertinentes, mais pas tout à fait, de, par exemple, la femme qui devient belle lorsqu’elle est affamée (hum…) et de celle d’un « média mental » qui produit on ne sait trop quoi et on ne sait trop comment une soumission collective au fantasme d’un seul mangaka présenté comme un être à l’imagination exceptionnel. Les personnages sont tous plus cons les uns que les autres, le principal remportant la palme de la misogynie, et l’ensemble galope dans tous les sens vers un final apocalyptique assez inattendu et bien pratique pour clore une histoire [presque] sans queue ni tête.
La plus grande étrangeté de ce livre étrange reste la conclusion, où l’humanité se retrouverait piégé « pour l’éternité » dans le fantasme du mangaka, à la manière de la matrice de Matrix où d’une expérience pour l’instant avortée de « monde virtuel » (second life a fait long feu). Encore une fois Tezuka n’a rien fait d’autre que synthétiser les pulsions et les peurs de son époque, les ressorts en étant aujourd’hui passablement démodés, mais le livre reste intéressant justement par leur désuétude, et donc leur dimension historique. À la fin, le Diletta est livre intrigant et parfois réjouissant, plus une curiosité qu’une grande réussite.
(Par contre, le Diletta ressemble beaucoup au mensonge ridicule que les scientifiques américains avaient inventé pour se faire financer le développement d’ARPANET par des militaires idiots)