C’était Noël. Julien me balance dans ma boite Facebook un bon vieux « jingle cats« , et brusquement la chose me saute aux yeux !
Si l’on prend un peu de recul sur ce monstrueux phénomène des lolcats, se cache derrière cette théorie de chats grimaçants une révolution copernicienne, au moins : le changement d’image d’un des deux animaux les plus populaires au monde. Rien que ça.
L’Internet a réalisé ici un petit miracle, ou une catastrophe, selon, en changeant définitivement l’image d’un animal dont les qualités avaient pourtant traversé les siècles et les civilisations avec une grande stabilité. Et ces qualités « félines », entre douceur et violence aveugle, déjà inscrite dans les déesses égyptiennes, vont être définitivement altérées et même occultées par une quinzaine d’années de gags idiots. Le chat, symbole de noblesse et d’indépendance est aujourd’hui tourné en dérision, offert en pâture à la moquerie du commun, humilié sur chaque écran du monde !
L’image, l’image du chat dont il est question ici est celle dont on dit qu’elle s’écorne. C’est une chose opérative, mais insaisissable, un monstre composite, un mystère qui justifie Culture visuelle. Ce n’est pas que le champ sémantique, les connotations et dénotations, c’est la réputation, c’est l’aura de Benjamin, c’est le rhizome des conversations d’André Gunthert, c’est une nébuleuse à croissance variable, parfois explosion, parfois discrète, parfois à retardement, rémanente ou éphémère… Cette image peut être construite et peut être détruite, comme celle de DSK, brusquement, ou encore dégradé comme celle de Depardieu. Elle peut être re et reconstruite, comme celle de Nicolas Sarkozy qui passera de traitre à présidentiable, de présidentiable à perdant antipathique, de perdant à… on verra. L’image peut être infiniment persistante, comme celle d’Ulysse, qui a creusé un sillon profond dans la culture mondiale. Cette image est alors plus importante que sa source historique ou fictionnelle, et finit même parfois par se détacher de cette source.
L’image peut-être lourde de conséquences, provoquer la déchéance sociale d’un homme, mais pire encore, elle peut aussi se construire dans un médiocre texte politique il y a 2000 ans, s’incarner juridiquement au moyen-âge, et aboutir à la Shoas. L’image, comme le dit la doxa, te colle à la peau. Pas facile de s’en défaire. L’image de Findus va hennir pour quelque temps…
Et donc, l’image du chat. Du félin en général.
Incroyablement stable depuis des millénaires. Puisqu’on sait ça. L’archéologie le dit : petit félin divinisé par les Égyptiens pour les mêmes qualités que celle qu’on leur prêtait il y a encore 15 ans… Le chat était noble, élégant, sauvage et tendre, affectueux, mais indépendant, tour à tour violent et zen. C’était le chat, indomptable et féroce, connecté aux esprits, voire maléfique. Une mythologie, une passion très répandue, le compagnon des écrivains, le symbole d’une cohabitation étrange qui ne s’avilit pas en domestication…
Jusqu’à l’Internet… Et cette image si solide, une image en béton, indestructible, survivant à la fin des civilisations, vient brusquement s’abîmer dans l’immensité d’un océan d’humour infantile à l’échelle de la planète. Et même si l’on dit « sur l’Internet, personne ne sait que vous êtes un chien » (On the Internet, nobody knows you’re a dog), ce qui au passage, est de moins en moins vrai, c’est le chat qui devient la mascotte phagocytée du réseau global. Mais pas le chat comme chat ! Pas le chat totem ! Non ! Un chat-clown nouveau, toujours ridiculisé !
Et comme DSK, c’est terminé… Plus possible de voir un chat sans se marrer. Plus possible de voir un Sofitel… Plus possible de ne pas penser à toutes ces facéties qu’on s’échange partout, en tout temps et à propos de n’importe quoi. Le chat transformé en langage grotesque, en micro-lien social, en matière noire du Web. Le chat gag. Le chat rictus. Le chat est mort.
eMage
La vengeance féline sera caline !
LOLcat, La déchéance du chat | Photography Now | Scoop.it
[…] Pour Julien C’était Noël. Julien me balance dans ma boite Facebook un bon vieux “jingle cats“, et brusquement la chose me saute aux yeux ! […]
Pierre
Ah ah plutôt jubilatoire ce billet.
.. »le symbole d’une cohabitation étrange qui ne s’avilit pas en domestication… »
Exactement. D’où on peut conclure qu’on s’est fait avoir avec les chats depuis des milliers d’années lumière. Ils voulaient à tout prix nous faire croire qu’ils n’étaient pas des animaux domestiques. Mais c’est peut-être l’image de leurs confrères félins sauvages – tigres, panthères, léopards et autres merveilleuses inventions adaptatives – qui ne doivent rien aux humains – qui aurait inévitablement fusionnée avec celle des chats ?
Quoi qu’il en soit, cela suggère que l’évolution n’est pas du tout un truc sérieux 😉