Au bout d’une vie à œuvrer avec des moyens pauvres, des matériaux pauvres, du dessin pauvre, Louise Bourgeois a produit un dernier acte d’acceptation/relecture de ses origines. Est-elle Eugénie Grandet, personnage de Balzac ? Pour Jean Frémon, qui introduit le livre, oui, et son texte est aussi beau que convaincant. Ce qui l’est moins, c’est la démonstration par la citation qui suit, avec ces extraits du roman qui viennent clairement dissoner avec l’œuvre de Louise Bourgeois. Y-aurait-il une confusion, pour les commentateurs comme pour l’artiste elle-même, entre la personne et son œuvre ? Louise peut bien s’être particulièrement identifiée à une héroïne de Balzac sans qu’on puisse sans abus trouver des connexions autres qu’anecdotiques dans son œuvre. En art plastique, l’esthétique d’une œuvre prime, c’est son mode d’apparition, et là ça dissone, ça dissone ! Alors que s’est-il passé pour qu’une artiste au bout du compte plus Arte Povera que surréaliste finisse par produire une série gentille, décorative, et même féminine jusqu’au cliché, comme si, après une vie de rébellion, une vie à repousser, disloquer, déconstruire l’habitus, mais aussi à tenter de soigner la mère, Louise, après avoir tué le père, acceptait de revenir dans son giron. L’œuvre de Louise Bourgeois, rumination narcissique, touche à l’universel par la distance ironique. Cette soudaine perte d’ironie, et donc perte de la beauté rude au profit du mignon, est un retour du refoulé, une réconciliation et peut-être, une réparation d’une culpabilité. Un dernier acte d’allégeance compréhensible et pardonnable. Après tout, malgré les cicatrices et parfois plaies encore vives, on espère tous se réconcilier.
Moi, Eugénie Grandet, un petit livre bien trop bourgeois chez Le Promeneur, 2010.