Je dis parfois que lorsqu’un grand réalisateur se casse la gueule en altitude, il se casse la gueule en altitude… En gros, même un mauvais film d’un grand réalisateur est au-dessus du lot…
Bien, et ça marche pour tout, et même pour la BD, donc, puisque Blutch, ce « cavalier français qui partit d’un si bon pas », vient encore de trébucher… Ce n’est pas la première fois qu’il déçoit…
Mais là, j’en attendais beaucoup, devant l’enthousiasme de mes amis…
Blutch est graphiquement très convaincant, et même si son dessin, pour un amateur d’art moyen, est encore empesé, il reste dans le haut de gamme en matière de BD. Mais il y a quelque chose de retenu chez ce type qu’il est difficile d’identifier. Dans ce Lune L’envers, c’est assez flagrant. Le désir de dessin, du dessin pur, laisse la narration à la traine, la bloquant parfois, ce qui fait qu’on sort du cadre strict de l’art narratif, donc, pour espérer autre chose, sans l’atteindre non plus. Blutch flirt en nous frustrant avec les portes d’un Olympe peuplé de ceux qui ont transcendé le médium pour atteindre ce mélange de dynamisme et d’immanence que les plus grands espèrent souvent en vain…
Et cette ambition là, autre, plombe la BD, c’est-à-dire la narration. Mais le plus grand échec de cet album n’est pas cette tension palpable depuis longtemps chez cet auteur. Et qui lui reprocherait d’avoir de l’ambition artistique ? Non, l’échec est ailleurs…
Je vais passer rapidement sur la vulgarité symbolique, et parfois pas du tout symbolique qui entache la chose… Je n’ai rien contre la vulgarité, sauf quand elle est vulgaire… Je passe aussi sur la crise de la quarantaine… Lourdingue et sur les ineptes peintures de l’héroïne…
Non, le grand échec vient de l’ambition spécifique de cet album qui était, et c’est flagrant, de retrouver un charme désuet, celui de Forest, bien sûr, comme horizon lisible, mais aussi de toute la bande dessinée et du cinéma fantasmatique italien (même celui réalisé par un polonais) des seventy’s…
Incontestablement, c’est ce que Blutch voulait, recréer, revivifier un charme d’antan, celui de son enfance, ou plutôt des premiers émois de l’adolescence, éveillés délicatement par une tension érotique toute encore imprégnée de la loi pour les publications pour la jeunesse… Il cherchait le fumé d’un temps qui, nous de nos générations, nous a ouvert les sens et l’esprit… Et peut-être que cet échec-là n’est pas lisible pour les générations suivantes ? Peut-être… mais pour moi, je ne vois que ça à chaque page. Je vois la mécanique à nue, je ne devrais pas, je vois l’ambition étalée, indécence, et au bout, d’ennui en ennui, je ne vois que sauce froide et sordide en place de la vie palpitante et fébrile des filles étranges des premières fictions émancipées… Dommage !
Alors ? alors, on pourra toujours me dire que c’est moi qui tente de retrouver quelque chose de ma jeunesse… Peut-être, sauf que ce charme, comme je le notais plus haut, je le retrouve ailleurs, et que l’évolution graphique de Blutch, le paradoxe temporel très daté, la tentative de créer une égérie, rend l’hommage à Forest ou Buzzelli trop flagrant pour qu’il puisse y avoir un doute sur le projet, et donc sur son échec…