Ce Maman amoureuse de tous les enfants de Lucas Méthé chez Actes Sud BD, quelle belle continuation à Papa Maman Fiston !
L’auteur annonce un troisième tome de ses étranges fantaisies pastorales pour l’automne 2021, quelle bonne nouvelle ! Tout au plaisir de ma lecture, je me disais ça, qu’œuvrer, c’est ça, c’est laisser l’œuvre advenir contre tout ce qui l’empêche. Et il faut parfois du temps pour se libérer des entraves et pour laisser la machine fonctionner pour elle, selon elle et par elle. Oui, il faut parfois du temps pour accepter que rien ne doive prévaloir sur la logique interne du monde que fabrique le récit. Et j’ai eu cette impression, vive et plaisante ici, que l’auteur laissait ses personnages inventer leur vie. Et quelle vie !
Moi qui n’arrive plus à lire les objets compassés, trop faits ou trop voulus — et pourtant, je lisais tout —, il m’en faut aujourd’hui pour me charmer et m’entraîner sans résistance. Alors, je suis le premier surpris par mon adhésion totale à cette proposition esthétique et narrative de Lucas Méthé. Et même si j’ai toujours suivi avec attention et intérêt ses publications, je n’imaginais pas qu’il se révélerait dans ce genre de parages, dans ces étranges fraîcheurs archaïques, ces jubilations panthéistes et ésotériques et… cet érotisme du paysage ! Comme si la quête spirituelle qui sous-tendait tous ses livres précédents aboutissait là, dans ces collines mythiques habitées par cette petite famille tout aussi mythique qui impose ses lois au monde, à la société et à la physique même. Que s’est-il passé ? Une expansion, une libération, une épiphanie ? Clairement, quelque chose de réjouissant.
Ce second tome, de sa plus petite expression, le moindre trait, jusqu’aux somptueuses saynètes burlesques, vibre de sa vie propre et déroule les quêtes croisées de la maman glanant des enfants et du fiston dont les voyages interstellaires ont plus à voir avec ceux de Cyrano de Bergerac dans les empires de la Lune ou du Soleil qu’avec ceux de Jules Verne ou Tintin. Évocation, tiens, qui me rappelle que Cyrano nomme « amour » (entre les astres) l’attraction universelle qui n’a pourtant pas encore été découverte.
Tout aussi riche que le premier en évocations, réminiscences, lectures, sous-lectures entremêlées et interprétations possibles, ce volume démontre qu’il y a plusieurs manières de raconter sa vie, et celle-ci, enfant du surréalisme, a la vertu d’élever le biographique à la hauteur du mythe. Entre les cycles de mort et renaissance pas fusion des corps avec les éléments et cette étrange biquette, « seconde mère » fabriquant un barrage-utérus que le père va pénétrer et qui mériterait à elle seule une exégèse ; entre les voyages initiatiques de la mère ou du fils ; entre cette histoire de regard double et les apprentissages du bébé, il serait tentant d’invoquer autant l’alchimie que la psychanalyse. Mais je préfère pour l’instant en rester au premier charme de ma première lecture et attendre patiemment le troisième opus. Et plus je feuillette ce livre, et plus je le trouve riche et fructueux, sans négliger d’ailleurs ces poèmes qui scandent les récits, et qui, paradoxe, sonnent comme un manifeste pour une bande dessinée émancipée des genres et poétiquement libre.
Le premier tome :