Matrix de France

Publié le 22 mars 2023

Sur « Matrix » de Lauren Groff  Éditions de l’Olivier janvier 2023

On ne sait rien de Marie de France, l’autrice des Lais éponymes. Comme pour beaucoup d’autres, il nous reste juste quelques textes dont les fables inspirées d’Eusope et qui inspireront à la suite La Fontaine, et rien d’autre. Rien sur sa vie. Rien. Mais ne serait-ce que pour ça, pour ce qu’il nous reste, elle est fondamentale pour cette culture qui se reconstruira alors en partie sur les artefacts de l’antique. Ajoutons y le fait que c’est elle, et pas l’autre, qui commence enfin à écrire en langue vulgaire, c’est-à-dire la langue neuve, la langue vivante qui porte l’invention de la nouvelle culture à partir du contemporain vivace. Et nous obtenons, avec cette Marie de France, localement et moins localement, quelqu’un d’une extrême importance. Mais le fait reste, têtu, que nous ne savons rien d’elle. Ni qu’est-ce ni quoi. On ne sait même pas, au contraire d’Hadrien, si on a perdu quelque chose d’elle qu’il faudrait réinventer… Rien. Nada. Le vide. La frustration.

"Matrix" de Lauren Groff  Éditions de l'Olivier janvier 2023

Alors il fallait bien que quelqu’un s’engouffre ! Et même si je ne dirais pas que l’effort est à la mesure de l’inatteignable exercice de Marguerite Yourcenar, Lauren Groff ne s’en sort pas mal du tout, dans l’Art cher à Wolfgang Hildesheimer d’inventer la vérité. Et la chose est enlevée, plaisante, actuelle, intelligente, etc., avec même une couche de fun, de culture populaire, de fantaisie — Marie de France devient presque une superhéroïne dans ce livre — qui reste la marque de la littérature US. De l’écrivaine, ça on en est sur, elle l’était puisque, Lauren Groff en fait une entrepreneuse, une guerrière queer et une visionnaire (au sens premier et figuré), ce qu’il me semble maintenant être à la fois le plaisir enfantin du livre, son actualité et son seul défaut, cette manière de surcharger le motif jusqu’à la limite de la caricature. Marie de France, pour Lauren Groff, c’est Iron Man au XIIe siècle ! Mais pourquoi pas, puisqu’on ne sait rien !

Illustration de l’article : dessin extrait de la série « Hermética » de Céline Guichard.

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