« Mon village », chronique grotesque de Jun Hatanaka

Publié le 15 novembre 2016

Pour se sauver de l’érotisme « Télérama » de quelques auteurs de BD à la mode, il faut, je ne sais pas, rechercher les rares traces du malheureux frère suicidé de Guido Buzzelli, Raoul ? Ou alors, lire un manga jubilatoire ? Oui, tient, la jubilation, chose rare, allons la chercher là où elle est, chez Jun Hatanaka, par exemple ! Malheureusement, je sais d’avance que je ne partagerais ce vif plaisir de lecture qu’avec peu de gens, car il y a des choses dont il n’est pas gagné d’avoir le goût. Et « Mon village » (Watashi no Mura) de  Jun Hatanaka au Lézard Noir, ce gekiga de 1991 aux enchaînements narratifs hasardeux, participe du genre des grotesques populaires. Et le goût pour le grotesque populaire est un goût paradoxalement raffiné d’esthète lassé par le lisse des ouvrages mainstreams. Oui, le grotesque est un goût rare et aristocratique, car il s’oppose au goût commun, ou goût moyen, lissé, policé et encadré par l’esprit de sérieux et l’hygiénisme bourgeois. Souvenons-nous comme Baudelaire que « ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire ». Alors, tant pis pour les mauvais coucheurs, « Mon village » est un hymne à la pulsion vitale, à la simplicité et au grotesque des mœurs villageoises. Oui, la narration est parfois chaotique, mais on s’en fout, emporté par la vie vive de ce récit enlevé, délirant, surprenant et réjouissant. Et je laisse le dernier mot à un vieux pote, Théophile Gautier, qui semble parler de ce Manga dans son anthologie des grotesques littéraires : « Le ragoût de l’œuvre bizarre vient à propos raviver votre palais affadi par un régime littéraire trop sain et trop régulier ; les gens de goût ont besoin quelquefois, pour se remettre en appétit, du piment des concetti et des gongorismes. […]Les morceaux les plus vantés des poètes sont ordinairement des lieux communs […] le grotesque, le fantasque, le trivial, l’ignoble, la saillie hasardeuse, le mot forgé, le proverbe populaire, la métaphore hydropique, enfin tout le mauvais goût avec ses bonnes fortunes, avec son clinquant, qui peut être de l’or, avec ses grains de verre, qui risquent d’être des diamants. C’est une poésie neuve, forte et naïve ; une muse bonne fille, qui ne fait pas la petite bouche aux gros mots, qui va au cabaret et même ailleurs, et qui ne se ferait pas scrupule de mettre votre bourse dans sa poche ; ».

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