Un carnet de voyage en bande dessinée
EGO COMME X, éditeur de Bande dessinée, nous a habitué depuis maintenant 10 ans à suivre l’introspection de ses auteurs, à accepter leur égotisme radical, leurs pensées les plus intimes. Voilà pourtant un album atypique et discret qui prend le contre-pied de sa ligne éditoriale : Palace, de Simon hureau, est un carnet de voyage « reconstruit » à la suite d’un drôle de séjour au Cambodge. Scandé par des planches d’études sur les insectes et batraciens locaux, il se présente comme un récit de voyage en bande dessinée entièrement voué aux seules sensations du voyageur.
Simon hureau, avec simplicité et précision, nous invite à partager son voyage avec son lot de sensation, de situation, d’expérience étrange et de rencontre. Le trait épais mais nerveux de Simon hureau est paradoxal. Le graphisme parfois un peu lourd semble au premier regard maladroit, mais s’avère à la lecture parfaitement apte à construire les ambiances les plus précises. Il n’est pas à priori « élégant », mais fonctionne incroyablement dans le récit. Le style montrant une jeunesse trompeuse se déploie avec une totale stabilité tout au long de l’album. Peu de graphistes savent déployer la palette d’ambiances nécessaire à rendre la qualité du voyage. L’auteur y arrive sans difficulté et c’est avec plaisir que nous suivons le personnage dans sa découverte de la magie particulière du Cambodge.
Nous voyons le personnage se perdre dans le pays et nous le suivons dans cette expérience purement sensorielle.
Comme le peintre taoïste obsédé par les éléments, Simon Hureau nous fait partager ses sensations, ses impressions, ses attirances/répulsions, ses angoisses, en rendant graphiquement la terre, l’architecture, le climat (le vent en particulier qui est un personnage à part entière d’un chapitre), la crasse, la décrépitude, la beauté, la nourriture appétissante ou repoussante, enfin tout l’étalage des sensations qui compose le vrai voyage. On a froid lorsque le personnage a froid, on sent le vent lorsqu’il souffle et nous partageons ses angoisses devant la lourdeur mystérieuse ou morbide de certaine ambiance.
Le récit se déroule, les scènes se succèdent sans que l’auteur ne porte jamais un jugement, ni sur les événements, ni sur les personnages qu’il croise. Cette absence de commentaire aide le lecteur à partager le voyage du personnage, gêné par aucun filtre idéologique, aucune orientation de lecture. On oscille entre empathie et distance à la manière du voyageur, parfois acteur, parfois anthropologiste d’occasion. On devine juste que Simon Hureau a néanmoins un « regard politique » (sa façon de mettre en scène la sociologie malsaine des « expatriés » par exemple) mais sans insistance, sans discours, sans thèse, à la manière d’un documentariste habile, avec une simple pointe de subjectivité notée par ses évidentes sympathies et antipathies. Même lorsqu’il croise les plus noires heures de l’histoire du Cambodge (et du monde), l’expérience reste intime et sensorielle. L’histoire abominable des exactions des Khmers rouges est « évoquée » avec une rare intelligence. Devant les traces de l’horreur, l’auteur vit une sorte de cauchemar éveillé et sa panique enfantine salutaire le rend incroyablement sympathique. Simon Hureau aime les gens, les atmosphères, la nourriture, au point de résoudre son récit par un superbe banquet. Cet album pourtant gros, laisse le lecteur baigner dans la qualité de son atmosphère et frustré que ça ne ce continu pas, comme un voyage qui se termine toujours trop tôt.
Le carnet de voyage selon Simon Hureau – MARSAM
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