Quelque chose dans Le Grand Vide

Publié le 24 février 2022

Seconde lecture du premier livre de Léa Murawiec : « Le grand Vide » édité par 2024 en août 2021.

Il aurait été naturel que je note ici ma première lecture du premier livre de Léa Murawiec. C’est une jeune autrice que j’ai photographié plusieurs fois et elle a même utilisé l’un de ces portraits pour sa communication. J’aurai dû. Surtout que ce premier livre, Le Grand Vide, est un bon livre, énergique, drôle et même sarcastique. Et j’aime le sarcasme ! Ce qui ne gâche rien, il est graphiquement inventif, malin même, et il est assez agréable d’y voir le dessin et le récit s’affermir par le labeur nécessaire à l’achèvement d’un tel livre. En quelques courtes années, Léa Murawiec a acquis une maturité graphique impressionnante, développant l’un de ces néo-pops actuels, mais dont elle pousse les possibilités esthétiques, en particulier dans de grandes perspectives en pleines pages qui, mixées avec la manie des grands livres des éditions 2024, semblent réveiller les fantaisies éditoriales d’un Éric Losfeld. J’aurai donc dû noter ça ici il y a bien six mois… Mais voilà, ce premier livre, et ça n’arrive pas tous les jours, a été très très bien reçu et il a rapidement fait le tour des médias culturels. Je ne lis jamais ce qu’on dit des choses dont je pense parler, mais j’ai vu passer les titres d’articles sur les réseaux, les résumés aussi (je les remarquais d’autant plus que ma photographie y apparaissait chaque fois en entête), et je me suis dit, bêtement peut-être, qu’un petit billet sur un blog confidentiel n’apporterait rien à la vie du livre. Ça roulait, laissons rouler !

Sauf que je restais intrigué par ma première lecture… Les métaphores possibles, critiques des médias ou des réseaux, de la TV réalité, des talk-shows et de la recherche de visibilité m’intéressaient peu. Tous ces machins debordiens m’ennuient aujourd’hui et il n’y a pas grand-chose à en tirer sinon un risque de méjugement sur l’époque. Le glissement nom/marque/like est conjoncturel, et je me méfie du conjoncturel. Non, bien plus intrigants me semblaient le sous-texte, ou même le premier degré du paysage social du début et de la conclusion du livre. J’y sentais un soubassement culturel bien plus profond que la simple projection dans l’époque. Ce préambule qui met en scène une déréification plus habituel en fantaisie qu’en SF était inattendu dans une critique des médias. Et c’est cette absence de réification qui m’a empêché de m’abandonner à la métaphore facile. En effet, dans « Le Grand Vide », IL N’Y A PAS DE MACHINE ! Tout se situe à un niveau quasi mystique. Je ne sais pas pourquoi je dis quasi d’ailleurs, puisque c’est bien d’une manière culturelle, cultuel et parfaitement performative, dans la pure magie du rituel, que se fait le lien, ce lien étrange, cette dépendance absolue de l’être au nom qui ne m’évoque rien d’autre que le mythe du Golem. 

Et surtout, cette étrange litanie des noms, rituel social structuré en service et en métier, mais aussi en cérémonies festives, oriente bien plus l’interprétation vers les injonctions sociales et familiales que vers une déviance sociétale spectaculaire. Comme un lourd miroir moral, ce paysage-là, de cette société-là, est jugé par le prisme d’une rébellion adolescente qui vit comme négatif et oppressif ce qui passe pour un fondement moral relativement universel : la reconnaissance de l’autre. Cette litanie des noms, chose quasi sacrée, m’évoque irrémédiablement celle des victimes de la Shoah, et toutes les litanies mémorielles d’ailleurs. Mais allant au-delà de la mémoire, dans « le grand vide », l’énonciation du nom est une nécessité pour maintenir l’existence même des êtres. La connaissance de l’identité de l’autre est garante de son existence-même, ce qui ne semble pouvoir être l’expression d’une société totalitaire. Pourtant, c’est cette litanie toute obligatoire soit-elle qui est vécue par le personnage comme une injonction sociale et familiale étouffante. Et même si le livre va glisser de cette injonction sociale à une quantification de la notoriété, la satire médiatique ne fait que s’appuyer sur cette magique dépendance de l’être au nom, et donc, derrière la critique, Le Grand Vide (d’humain), et la fuite de cette ville (le trop-plein du monde des humains), ne raconte rien d’autre que le désir de fuite et d’émancipation d’une jeune femme qui pour échapper aux pressions familiales et sociales qui l’étouffent, veut partir à l’aventure, se retrouve déviée par l’appel de la notoriété, et enfin, s’évadant s’émancipant, ne va retrouver dans « le grand vide », hors la ville, rien d’autre que le spectacle de très simples relations sociales/familiales. En gros, Le Grand Vide est un récit d’apprentissage très personnel (ce qui n’a rien de surprenant pour un premier livre) qui a la pudeur de se glisser derrière le paravent d’un discours critique, de la même manière que le récit de science-fiction cache un récit fantastique, qui lui-même estompe une lecture plus biographique. L’entièreté du livre semblant d’ailleurs contredit par un cryptage de noms qui dessine une cartographie des liens de l’autrice…

Peut-être. Après tout, ce n’est que ma seconde lecture ! Quoi qu’il en soit, la chose est formellement enlevée, brillamment narrée, et donc mérite sa réception et son succès.

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