Oui, qui suis-je ? Mais attention, pas le qui suis-je habituel, celui auquel je réponds, pour moi, depuis toujours, imparfaitement, et encore plus imparfaitement sur le réseau, en y stockant mes archives, comme un abandon à l’inéluctable, avec ce fond de mélancolie spécifique des poètes qui s’inscrivent tout en sachant que rien ne reste jamais bien longtemps. Encore évoquer Sapphô, qui a échoué et réussi tout à la fois, puisque nous nous souvenons d’elle, mais que ce souvenir n’est qu’éternel reconstruction d’une Sapphô imaginaire, à partir des restes de son œuvre, reste dérisoire et précieux, comme les cendres de la combustion des siècles.Geste dérisoire de l’égotisme, qui laisse quoi ?Non, pas ce qui suis-je là, celui si classique de la subjectivité, de l’être inactuel perdu dans un temps poisseux. Non, pas celui-là, attendu et rabâché, qui fini, paradoxe, par se fondre dans la masse informe des égos de l’espèce. En effet, pourquoi devrais-je m’enferrer plus avant dans l’introspection ? Qu’en est-il sorti, après tant d’années ? Un mot moche, et rien de « particulier », pire même, le constat que je partage plus avec des morts qu’avec des vivants, que le temps ne fait rien à l’affaire, que l’espèce produit des moi encore et encore, et que donc, je n’apporte ni ne retire rien à l’espèce, morne chaine d’équivalent, incompétent, hors du siècle, regard mi-clôt, attente inutile de la déchéance d’un corps.
Qui suis-je est une question qui m’intéresse aujourd’hui. Un autre qui suis-je. Je découvre que je suis armé pour me poser cette question, que je ne l’ai jamais prise au sérieux, laissé de côté, nourri pourtant, documenté même, mais vraiment négligé, en lui préférant, mauvais goût, l’autre question, l’autre qui suis-je soi-disant noble des poètes et philosophes.
Il fallait donc un deuil, un deuil de la valeur classique de la formulation, du style, de cette vie consacrée à mettre en forme l’inactualité cruelle de moi, individu déphasé, pour enfin comprendre que ce n’était pas la bonne question, que le corpus intégral de mes valeurs esthétiques était à jeter au feu, que je cherchais dans la mauvaise meule. Quoi ? La chose qu’ils cherchent tous, la singularité.
Voilà la vraie question. Qui suis-je, moi, être historique. Voilà ce à quoi je veux me consacrer, pour ne plus perdre de temps avec ce que je sais, sur la vacuité de l’être, sur sa capacité à se noyer en lui-même.
La singularité, c’est l’Histoire. Voilà un poncif, mais qui lorsqu’on est un esthète, est une révolution.