Relire : Bleu presque transparent

Publié le 23 juillet 2023

Par temps de disette, relire les livres de sa bibliothèque : Bleu presque transparent de Ryu Murakami, 1978 chez Robert Laffont dans la super collection Pavillons. Du sexe, de la drogue, du vomi et de la poésie, mais aussi un amour avorté et une « jeunesse perdue », comme on dit. Un livre générationnel qui a rendu son auteur de 24 ans instantanément célèbre au Japon. C’est aussi le premier livre d’un « Murakami » à être arrivé en France. Un jeune étudiant en photo et design émoustillait le monde en publiant le compte rendu clinique de ses partouzes sous substances sur fond de présence (et participation) de l’armée US au Japon. Relire ce premier livre de Ryu M. aujourd’hui est assez particulier. Il y a ce qui persiste, une écriture kaléidoscopique, une poésie certaine, une étonnante maturité esthétique et une outrance l’air de ne pas y toucher, alors qu’on nage dans la violence, les sécrétions et les odeurs fétides, et il y a cette impression de distance, d’un texte daté participant d’une expérience collective datée relativement mondiale, d’une prise de liberté littéraire qui aurait du mal à passer pour nombre de lecteurs d’aujourd’hui. Ne serait-ce que les violences faites aux personnages féminins… Même si le narrateur, qui se nomme judicieusement « Ryu », s’exonère des pires violences en se gardant le rôle de participant (presque) passif. Pendant toute la première partie, on a même l’impression que Ryu comme personnage se garde discrètement une position privilégiée autant vis à vis des femmes que de la drogue. Il est déjà écrit que lui n’en mourra pas, de la défonce, et il n’a pas non plus besoin d’user de violence pour séduire, loin de là. Il n’est pas comme les autres, ses potes en déshérence, et pourtant pas encore célèbre. Pour ce qui est des sentiments, c’est une autre histoire, et il ne dérogera pas de la proverbiale inhibition japonaise… Malgré, ça se lit fluide, et c’est à la fois plaisant et fort, avec de belles envolées. C’est aussi un document sur une période d’un Japon sous influence (à plus d’un titre). Étant donné que je lis beaucoup de textes anciens, voire très anciens, je ne sais pas si je suis la bonne personne pour savoir jusqu’à quel point la chose a vieilli ou pas. Mais voilà une preuve de plus que la subversion en littérature est à rejouer à chaque génération. Et ce n’est pas la subversion qui radote, mais le carcan qui persiste. 

La maquette fin seventies est signée Dominique Gurdjian qui en a fait de très similaires pour les éditions Opta. Pour cette première édition française, le choix du visuel renvoyant Ryu Murakami à son folklore était particulièrement problématique. C’est un contresens absolu et une manière de se foutre du lecteur français. Malhonnêteté d’autant plus pénible que l’éditeur publiait en postface une lettre de l’auteur qui explique clairement qu’il désirait en couverture l’une de ses photos : un profil surexposé (de son amour foiré) relevé d’un liseré rose qu’on retrouve sur l’édition japonaise au POP acide plus en phase avec le contenu.

PS : Pour dissocier les Murakami écrivains (on ne peut pas confondre avec le plasticien), j’ai un truc mnémotechnique : Ruy = punk-rock, Haruki = jazz-rock ( ici traine encore un article d’une quinzaine d’années sur l’autre Murakami).

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