Le dernier livre de Nathalie Quintane est drôle. Et il m’a fait rire comme il se doit, et il m’a aussi passablement intrigué. Il est à la fois potache et fermé, presque cryptique, cachant un étrange pamphlet révolutionnaire derrière des pérégrinations qui ont la texture des rêves, comme cette ironique déambulation dans un Paris « Empire » effacé par une poisse de brouillard. Il y a, mélancolique, l’invocation d’une peintre post-révolutionnaire éclipsée par l’Histoire, Lucile Franque, une peintre ayant participé à ce qui était peut-être la première des avant-gardes parisiennes. Et c’est toujours un plaisir de découvrir ou redécouvrir un pan occulté de l’Histoire de l’Art.
Et puis il y a ce mystère : pourquoi n’ai-je pu m’empêcher de penser à un livre d’il y a 23 ans : « Le colloque des bustes » de Bernard Comment ? Comment n’aurais-je pu y penser ? Mais franchement, quel lien y a-t-il entre ces deux livres ? 23 ans les séparent et pourtant ils partagent ces hommes réduits à des bustes (« torse » chez Quintane), et le prénom du personnage féminin. Ils ne partagent pas l’idéologie. Ils partagent une certaine fantaisie. Ils partagent, ne partagent pas. Oui. Mais cette coïncidence, ce lien qui s’est noué dans mon cerveau est-il dans le projet du nouveau ou un simple hasard, une coïncidence comme il en arrive souvent ? Ou une réminiscence, réminiscence consciente, réminiscence inconsciente, une inspiration, une référence secrète, un jeu privé ? Comment savoir ? Le prénom de la visiteuse temporelle du potentiel hypertexte est contraint par son existence historique. Celui de l’accompagnatrice chez Bernard Comment est arbitraire. La coïncidence des prénoms ne peut donc qu’être coïncidente. Mais ces bustes ou torses ? Ils sont symboliquement en miroir, handicapés objectivés chez Comment, corps de l’État (du pouvoir) objectivé chez Quintane. Le haut et le bas, le bas et le haut. Cette opposition hiérarchique, plutôt qu’éloigner les textes, les rapproche dans ma cervelle tordue. Mystère !