Je me souviens de quelques nages mémorables… Mais avant, le livre : « Nageurs des siècles » est une petite anthologie de la nage en littérature compilée par Johan-Hilel Hamel, nageur. C’est aussi un nouveau cahier charmant des éditions Waknine dans leur collection « livrets d’art ». Et c’est une lecture toute aussi charmante, au sens plein, qui permet de rendre visite à Albert camus, Louis Aragon, Théocrite, François Sagan, Francis Scott Fitzgerald, Ovide, Charles Spawson, Homère, Nonnos, François Rabelais, Paul Morand, Duke Kahanamoku, Gustave Flaubert, Jim Harrison, Jules Verne, Yoko Mashima et Léonard de Vinci, sans oublier Johan-Hilel Hamel évidement ! Une nage libre dans notre grand bain commun. Et si la sélection met en lumière l’importance et la persistance de la nage sur les mille siècles que couvrent les auteurs, elle dévoile aussi de petites vanités virilistes attendrissantes chez quelques grands écrivains qui ne dédaignent pas la vantardise sportive, voire héroïque. Mise à part cette petite ironie, cette anthologie est une invitation au souvenir de cette volupté primale du corps dans l’eau, et renvoie irrépressiblement à des expériences très personnelles.
Oui, ce « Nageurs des siècles » est une lecture douce qui ramène à soi et m’a redonnée des souvenirs enfouis : deux nages extraordinaires en Corse, quelques grands souvenirs de plages basques, et pour équilibrer, un cauchemar dans la mer des Caraïbes, en pleine saison des pluies, une mer qui ne rafraîchit pas, plus chaude que l’air tropical, et les dix jours infernaux de cette fièvre de plomb qui me fit grelotter dans l’étuve. J’avais 27 ans. Mais plus tôt, à 18 ans, un voyage avec trois potes pour un tour de Corse, camping sauvage, et premier souvenir d’un bain extraordinaire dont je n’ai pas retrouvé le lieu sur Google Map… Une falaise, une langue de pierre aperçue d’en haut, comme une plage, attirante. La descente hasardeuse et vertigineuse et en bas, ce qu’on ne percevait pas d’en haut, la violence de la mer qui monte et descend de 3 ou 5 mètres le long d’une paroi rude… Intimidante. Notre indécision, longue, et puis un premier qui plonge enfin dans le cycle, quand l’eau est haute, et tous, et merveille d’être porté, d’être déposé sur la plage de roche, de plonger et plonger et plonger dans une eau limpide, de remonter dans une lumière africaine.
Ensuite, la Corse bouclée, nous devions poser nos tentes dans un hameau du centre, en pleine montagne, chez un oncle du corse d’entre nous, loin de la mer, mais pas des fleuves d’altitude. Je connaissais les eaux glacées des trois grands massifs français, pas cette eau tiède d’août qui glisse des sources des cimes à la Méditerranée en dévalant des cavités des tunnels des baignoires naturelles, tout un manège modelé dans une roche grillée par un soleil têtu. Tous les jeunes du coin s’y retrouvaient, soit à sauter du pont vertigineux, soit à profiter plus haut des circonvolutions de l’eau, s’amusant des cascades et piscines naturelles. Ici, au centre de la Corse, souvenir de nages magiques, de dragues, de conversations, de siestes, de réparation de gueule de bois au gin bon marché, et j’avais oublié ce mec derrière moi qui regardant mon dos balance « toi, tu fais du vélo » pour engager la conversation. Moi, c’est la natation, en pro, et il va m’expliquer les subtilités du crawl… Il ne m’en est toujours resté que la théorie. Souvenir peu glorieux, c’est le corse qui conclura avec la belle corse qui nous trouvait si sympathiques, et c’est lui, traître, qui à la fin des vacances avouera « elle lorgnait sur toi, mais je lui ai dit que t’en avais rien à foutre d’elle ». Mais je lui laisse de bonne grâce une aventure de quelques heures pour ces souvenirs mythiques des voluptés des eaux corses.
À 23 ans, une fille me fera découvrir les plages basques, qui ont pour elles la particularité de la variété, chacune semblant ouvrir sur une mer différente, des rouleaux géants de la limite des Landes, machine à laver jouissive, aux eaux plus calmes de Bidart où j’ai eu la chance de séjourner un temps. Je garde des nages lentes sous des averses douces d’orage d’été. Pour être juste, je devrais peut-être ajouter ma voisine de Ré, et quelques autres nages plus locales pour moi, mais je vais m’en tenir à ces évocations précieuses que je dois à ce gentil « Nageurs des siècles » que je regrette presque de ne pas avoir gardé pour cet été post-confinement qui s’annonce si chaotique…
En en-tête, une diapositive du début des années 80 prise par mon plus jeune oncle, Éric François, retrouvée dans les archives photo de mon grand-père.