Avec les troubles du mois dernier, j’allais complétement oublier de noter le visionnage de White Bird, le dernier Gregg Araki. Peut-être parce que celui-ci est peu mémorable ? Peut-être… Rien de plus ? Presque…
Avant tout, j’aime bien Gregg Araki. J’aime bien sa manière décomplexée de brasser la pop culture, et même, pourquoi pas, son obsession du moment traumatique de la sortie de l’adolescence. Même s’il n’est pas Larry Clark… Loin de là.
J’avais lu quelque part qu’après ses teen movies dépoussiérés des années 90 (et jusqu’à Mysterious Skin), Gregg Araki voulait réaliser des films légers. Et en effet, le trip halluciné de Simley face et son comics hystérique Kaboom répondaient parfaitement à ce programme. Mais il restait dans ces deux derniers une charge corrosive qui stimulait les yeux et la langue.
Et White Bird ?
Donc, j’aime bien Gregg Araki… Mais au long des longueurs de White Bird, film que j’ai regardé comme on survole des yeux un paysage commun, je me suis demandé, entre deux gags télévisuels, quel était donc le sujet du film ? Un simple jeu avec Twin Peaks ?
Juste ça ? Gregg Araki, qui voulait donc « faire léger », a réussi l’exploit de réaliser un film vide rempli de sujets potentiels en en traitant aucun. Un ouvroir ? Non. Une manière de ne pas faire de cinéma ? peut-être.
Je pensais… mais c’est un souvenir lointain et incertain, je pensais entendre Chabrol disant qu’au cinéma l’histoire doit être porté par l’image. Une manière de « dire le médium ». Oui, même si le cinéma, comme la bd, possède cette plasticité des arts batards qui permet des grands écarts et des souplesses expressives.
Malgré tout, ce qu’exprimait Chabrol (en espérant mon souvenir exact), c’est-à-dire que l’image porte le récit, est une tension propre au médium. Et cette tension, Gregg Araki, qui sait nous faire rentrer dans le cerveau d’une gonzesse en plein trip (Smiley Face), l’a complétement abandonné dans White Bird. Et c’est ainsi que l’image ne raconte rien, sinon un ressassement des clichés esthétiques qui obsèdent le réalisateur depuis vingt ans. Et ces vingt ans de ressassement ont vidé ses obsessions visuelles de toutes formes d’enjeu.
Ainsi,
– « la disparition », c’est le vrai sujet, l’héroïne le répète plusieurs fois. C’est bien de le dire, mais le traiter cinématographiquement aurait été mieux, non ? Comme Ozon dans « sous le sable », par exemple.
– « La critique du mode de vie pavillonnaire », poussive, se glisse derrière quelques scènes détachées.
– « la concurrence mère/fille », s’en tient au reflet d’une jeune poitrine dans le miroir de la salle de bain.
– « la libido sociale minable de l’ex cheerleader » : ha ça ! Le cinéma « presque pas misogyne » adore se moquer de la libido sociale des femmes ! Celle des hommes, on s’en moque pas, elle s’appelle « ambition ».
– « l’homosexualité refoulée », sert le gag, et c’est tout.
– « la vie par procuration »… Ha, voilà un sujet discrètement évoqué par un personnage secondaire : la manière dont les « moches » ou « communs » vivent la sexualité à travers la vie rêvée des « beaux ». Sauf que la fascination pour la beauté adolescente est au premier degré chez Araki, et finit avec le temps, le sien de temps, son usure propre, par devenir politiquement lourde…
Et ainsi, le long d’un film qui ne sait ce qu’il est, nous glissons de sujets psycho en sujets socio jusqu’à l’étrange apparition du polar de la fin, anesthésié d’avance par l’esthétique sitcom de l’ensemble. Au bout de la projection, il reste quoi ? Un diaporama des images fétiches de Gregg Araki. Le haut des poils pubiens d’un ado. Du fantastique toc. Une esthétique télévisuelle. Le vide… Gregg Araki s’est paumé dans ce film, comme son héroïne dans les limbes glacés de ses pseudo-rêves.