Bien avant le selfie (cette photo qui dit, entre autres, « je suis là »), ma grand-mère paternelle était déjà là, et là, et là encore, et ici aussi… avec la complicité de mon grand-père photographe amateur. Dans les archives photo de ce dernier, je suis tombé sur cette série de tirages papier de paysages incluant systématiquement ma grand-mère. Photos carrées, 6X6, ce qui indique un mouvement particulier du photographe, penchant la tête sur une image déjà là. Le format 6X6 produit des images volontaires, très cadrées, en légère contre-plongée puisque l’appareil est tenu plus bas qu’un reflex.
Un article qui fait suite à : http://bonobo.net/les-photos-de-paul-1-une-passion-familiale/http://bonobo.net/les-photos-de-paul-2-une-romance/
Et je dois avouer que j’ai ri quand j’ai découvert cette série dans ses archives, tirage papier 15X15 environ, relativement pâle. J’ai ri de cette occurrence, de cette obstination formelle. Sélection :
Car il y a quelque chose d’évident, dans ces photographies. Une simplicité, du cadre du paysage classique et de ma grand-mère frontale en étrange pantin figé tel un Gilles de Watteau, toujours là (parfois minuscule, mais je vous épargne celles ou il faut la chercher comme Charlie), mais suffisamment loin de l’appareil pour bien s’inscrire dans le paysage, et donc, pour mieux montrer et le lieu, et sa présence en ce lieu. Eh oui, je leur trouve bien quelque chose d’évident. Je leur trouve une grande lisibilité du sens, mais aussi de la situation dont elles témoignent. Je sais exactement ce qu’elles montrent : ma grand-mère était là. Et par la répétition, par la posture obstinée de ma grand-mère, et même si ce comportement est après tout commun, je finis par trouver ces images étranges et même légèrement inquiétantes… Ma grand-mère était partout ?
La série cohérente de ces « j’étais là » date grosso modo des années 70, et passe du 6X6 à la diapositive. Mais si le cadre incluant largement le paysage est relativement nouveau pour les photographies de famille de mon grand-père, la posture de ma grand-mère, elle, a très peu varié. Watteau un jour, Watteau toujours ! Bon, pour ne pas être injuste avec elle, c’était aussi le comportement de ses parents. Vieux réflexe du temps ou il fallait prendre la pose ?
Série plus ancienne, année 50 :
Au grès de mon tri, J’ai trouvé une matrice antérieure à cette série de photo de vacances française, deux photographies d’après-guerre qui annoncent la série de paysage, d’une certaine manière. Ma grand-mère, toujours elle, devant des objets, et pas n’importe quels objets : devant des preuves d’accessions à. Voilà deux photographies qui disent « j’ai ça », mais qu’il faut entendre plus précisément comme « j’ai ça maintenant ». Ces photographies-là ne sont pas drôles. Du moins, elles ne me font pas rire, et portent même leur lot de tragique social. Je ne leur trouve pas la légèreté de la série ultérieure des paysages.
En conclusion et pour être juste avec ma grand-mère-poteau, il faut bien avouer que moi aussi « j’étais là », sur les photos de mon grand-père, et avec un look… Mais qui m’habillait comme ça ?
Deux articles d’André Gunthert :
Le selfie image sociale http://imagesociale.fr/3155
L’effet blow up http://imagesociale.fr/4157