Nagori de Ryoko Sekiguchi et ma salade

Publié le 14 janvier 2019

Le jour où j’ai commencé à lire Nagori de Ryoko Sekiguri, j’ai croqué dans cette salade, là, dans mon assiette, fraiche et nerveuse sous la langue, impossiblement printanière, alors qu’autour de chez moi la terre est morte, pas encore glacée mais suffisamment froide et humide pour tout tuer.

Le 4 janvier, Christian Rosset, avec lequel je suis « connecté » sur facebook, l’un des derniers à prescrire (je me demande parfois pourquoi mes « amis » des réseaux ne prescrivent presque plus. Il n’y a pas de culture sans prescription), avait balancé les couvertures de deux livres : Nagori, ce livre de Ryoko Sekiguchi et un Volodine — j’avais déjà goûté Volodine et avait mis longtemps pour comprendre que c’était un auteur qui demandait initiation… J’y reviendrais sûrement — mais je n’avais jamais lu Ryoko Sekiguchi.

Alors, mon premier Ryoko Sekiguchi. Une écriture simple et fluide, transparente presque, il me semble ça d’autant plus que je sors du dernier Guyotat, de sa monstrueuse écriture. Ici antithèse, grand écart, et c’est une autre forme d’exploit d’être ainsi limpide. Un texte sans statut fixe. J’en profite pour remarquer que je lis beaucoup de textes au statut trouble en ce moment. Me demande si c’est l’influence du Web, qui n’oblige rien et surtout pas le marketing éditorial ? Encore que là, dans ce cas précis, mêler littérature et gastronomie, c’est une grande tradition peut-être plus encore japonaise que française…

Nagori la nostalgie de la saison qui s’en va est, rapidement, un essai sur les derniers fruits de la saison. Mais de ce sujet parmi les sujets fondamentaux qui paraissent dérisoires et qu’elle entre entier dans un concept japonais mélancolique, « Nagori », Ryoko Sekiguchi fait un précis philosophique et poétique sur notre rapport au temps, aux cycles des saisons, et qualifie notre époque par les rapports nouveaux et complexes, culturels, économiques et même socio qu’elle entretient avec la saisonnalité. Et c’est là que ma salade, tout droit sortie d’un jardin alors que le ciel de janvier gris-blanc comme je déteste écrase l’humeur et qu’un frisson glacé me parcourt l’échine, vient dévoiler une réalité structurelle de cette machinerie du monde qui nous mène, bon grès, mal grès, plus sûrement à l’abîme qu’ailleurs. Tout de notre mode de vie, jusqu’à la plus petite des choses, fait parti de cette machine monstre dans laquelle nous nous sommes englués.

Alors, oui, le livre se perd un peu en bourgitude vers la fin, en rapport de stage haut de gamme, et son évocation de son année à la Villa Médicis résonne étrange pour moi, dont la compagne revient juste d’un petit mois de résidence dans le même cadre, mais n’en a malheureusement pas eu la même expérience, mois d’hivers, à 1500 kilomètres de sa mère agonisante, isolement, choc de classe, froideur bourgeoise et mélancolie accentuée par la beauté fanée de Rome. Loin, très loin de la villégiature hors-sol du pensionnaire moyen.

Pour évacuer ce carambolage malheureux, je suis passé voir d’autres livres de Ryoko Sekiguchi. Rapidement, « la voix sombre » et « ce n’est pas un hasard », trouve le second beau, mais rencontre le premier, « la voix sombre », comme un cousinage de ma conception des sources de la culture dans la mémoire des morts… Maintenant, je prêterais l’oreille à Ryoko Sekiguchi.

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