Le vieux projet, je m’en souviens maintenant, ce n’était pas de refaire l’Histoire, c’était juste de revenir au sentiment. C’était de se souvenir pourquoi les idées progressistes étaient nées. De quel mélange d’indignation et de culpabilité. Pourquoi y avait-il eu ce désir collectif d’organiser autrement, plutôt que laisser les choses en l’état ? Pourquoi ne pas accepter l’état de fait ?
C’était ça. Et donc partir de l’impureté morale du caritatif, que ce soit une initiative personnelle ou une organisation collective d’initiative privée, de cette réponse d’urgence à une situation de manque, pour comprendre comment on en venait à remettre en question l’organisation de la société même. Que la situation inacceptable, le sentiment d’injustice devant cette situation, demandait une réponse politique, et non affective, et non morale. Comment passer du sentiment, et de sa réponse individuelle, au projet de société ?
Et c’est bien maintenant que je dois de nouveau me poser ces questions. Là, maintenant, alors que pour la 2 e fois de ma vie, je plonge dedans, dans ces dispositifs enfants de cet ancien sentiment. Je ne vais pas trop me précipiter pour analyser ce que je vois. Juste remarquer, déjà, comment le vieux système caritatif imprègne encore le cerveau des individus qui le servent, qui devrait pourtant être agent de son objectivité. Et comment ce dispositif qu’on espérait systématique suppure pourtant des résistances, des saletés morales sur le mérite… Il reste des incompréhensions de soi-même, des inconsciences coupables, des désirs plus ou moins exprimés de faire payer moralement l’aide. Le vieux projet est à reconstruire constamment. La dignité constamment en danger, mise à mal par des réflexes, des dispositifs, un vocabulaire…
Même si, heureuse surprise, je vois bien une tension louable, un désir de perfectionner, en particulier dans l’accueil. Mais j’y reviendrais.