C’était inattendu (comme toujours). Beau plaisir de lecture, paf, pour un livre que peut-être je n’aurais pas acheté si je n’interrogeais pas, en ce moment, les liens entre photo et littérature. Pourtant, j’avais aimé deux livres de Tanguy Viel, mais lu aucun de Christian Garcin. Et je dois bien avouer une absence de passion pour la mer (sinon pour son rivage), et pas plus pour les tours du monde (quel que soit le nombre des jours), et encore moins pour les bateaux… Mais le hasard s’amuse à me faire lire ce « Travelling, un tour du monde sans avion » de Christian Garcin & Tanguy Viel, en parallèle (entre autres) du vieux Moby Dick que je m’étais promis de relire depuis… Trop.
Hasards et hasards, et hasard de hasard, les débuts des deux livres s’emmêlent à merveille. Malgré la différence d’ambition, il se passe quelque chose entre ce Melville que j’aime tant et les deux très contemporains forts sympathiques qui tentent vertueux de ralentir le monde, ou de ralentir son appréhension pour mieux l’appréhender. Et c’est quelque chose qui me touche, qui me tracasse, de reprendre mesure d’un monde trop rapide, sachant bien les dégâts de cette rapidité et les excès qu’elle engendre. Quand j’ai remplacé ma voiture par un simple vélo, non électrique, j’ai redécouvert la mesure de MON paysage, à l’échelle de mon corps et de ses efforts. Une volupté. Alors, retrouver le voyage et expérimenter sa mesure est un désir (encore simple fantasme, pour moi) que je partage avec les auteurs.
[Et je pense ici que mon attention pour le superbe projet d’Éric Tabuchi est liée à ça, comme ma lecture attentive des voyages photographiés de François Maspero].
Car il y a mille voyages possibles, et que l’un soit minuscule ou immense, circulaire ou zigzagant, n’a aucune sorte d’importance. Ce qui compte, c’est l’attention qu’on y porte. Par contre, sa rapidité en change la nature. Et donc, sans partir à l’aventure, Christian Garcin & Tanguy Viel ont simplement décidé de ralentir le tour, puisqu’elle est ronde… pour arriver d’où l’on arrive, en espérant enfin ressentir physiquement l’échelle du déplacement. L’ironie, parce qu’il y en une aussi terrible que sublime, c’est que le premier déplacement ralenti, lente méditation dans le désert, comme ils le notent, utilise le porte-conteneurs, dont on sait depuis peu l’échelle des ravages. Mais le léviathan dévoreur de planète qui les emmène (accessoirement transporteur de smartphone, je suppose), leur vaut une entrée poétique et paradoxale dans un New York invisible, comme effacé déjà par la monté des eaux.
Si ce livre a un défaut, c’est peut-être celui-ci : que le découpage de l’écriture en courts chapitres alternés n’est pas à l’échelle du monde et semble même prendre l’avion, sautant d’un point à l’autre, sans rendre cette continuité des lieux que les auteurs expérimentent. Ce côté morcelé et parcellaire du texte, (belles) bribes éparses d’un monde disloqué, a du mal à rendre le voyage linéaire du programme. Mais le plaisir quand même des nombreuses évocations culturelles, des considérations rafraîchissantes, et des petites émulsions très personnelles de ma très personnelle lecture mixée, parfois, quand Tanguy Viel (je crois) compare les immenses territoires centraux des USA au « ventre de la baleine »… Mais ça, ça m’appartient, par l’hypertexte (ou faites comme moi, relisez Moby Dick). Pourtant, oui, confort moderne excepté, les deux courent bien aussi après un Léviathan blessé. Notre Léviathan commun qu’on achève dans le silence ouaté de notre universel narcissisme.
Ce tour du monde sans avion est donc un chouette livre, plaisant, sans que j’arrive à savoir si l’aventure est futile ou profonde. Et donc, si le livre est profond ou futile… Malgré ce léger bémol, j’en garderais un bon souvenir, et cette idée merveilleuse que sur un monde sphérique, en s’éloignant, on s’approche à chaque pas de son point de départ.
Et la photographie ?
C’était une bonne idée, et de publier des photographies, et de publier des photographies des auteurs. De « simples » photographies de voyage qui pouvaient ouvrir sur ce que le texte ne peut donner. Mais sans soin d’impression particulier ni choix de papier, la photographie est dérisoire, presque effacée, réduite à sa plus exsangue fonction documentaire, et il faut deviner peut-être une volonté de capter la poésie d’une vue.
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