Comment ai-je pu passer aussi longtemps à côté des romans de Pierre-Jean Jouve ? Pourquoi le considérais-je, dans la case ad hoc de ma minuscule cervelle, uniquement (sic !) comme un poète ? Why ? Le hasard des choses… Et peut-être, quand même, le fait que les éditions (relativement) récentes, hors livres de poche que j’ai maintenant le plus grand mal à lire, ne sont pas si facilement trouvables, et même relativement cotés. Et donc, il fallait attendre si tard, dans ma vie, pour que me tombe entre les mains pour quelques cent ce Paulina 1880 en édition aussi ancienne que décrépie : un NRF de 1925 dans un état limite, roussi, échancré, déchiré, abrasif, et normalement rédhibitoire. Mais devant la qualité de l’écrivain, je ne pouvais hésiter.
Mon instinct a eu raison. Malgré la difficulté à tourner les pages sans détruire l’intégrité du livre, à chaque page, un morceau étincelant, ciselé, mélodique, d’une écriture romanesque unique. Stupeur devant la beauté des phrases, stupeur de découvrir là où je ne l’attendais pas une écriture du réel, stupeur devant le rythme, la concision, la pertinence, le poids de chaque mot. Et encore cette petite amertume de ne lire ça que maintenant. Ailleurs, pour un autre, je tiquerais de cette extrême euphémisation poétique, si bourgeoise, d’une histoire, après tout, qui passerait pour imbuvable entre les mains d’un autre. Mais Pierre-Jean Jouve me prouve que le style, pourtant petite chose fragile historiquement périssable, peut bien transcender la plus vile des matières. Du grand art, et dans ce grand art, des diamants ciselés, quelques descriptions de personnage, merveille d’écriture et de concision. Admiration.
On dit ce Paulina premier texte de sa période post-découverte de la psychanalyse, mais c’est surtout une écriture cubiste, qui construit une situation en déplaçant le point de vue, glissant d’un personnage à l’autre, de son extériorité à son intériorité, créant un rythme cassé, nerveux, d’une grande modernité. Je n’ai pu me résoudre à posséder seulement cette édition décrépite. J’ai trouvé rapidement une vieille édition en club de 1959, pour presque rien, une édition parfaitement typographiée, aérée, élégante, lisible lorsque comme moi on se bat avec ses progressives. Et une édition illustrée par Françoise Boudignon.
Je garderais le négatif sur Pierre-Jean Jouve pour le roman suivant…