Quel texte ! Mais quel texte ! Encore épaté par un livre de Marie NDiaye. Au court de ma lecture d’Autoportrait en vert, sa livraison dans la géniale collection Traits et portraits au Mercure de France, il m’est venu qu’elle proposait là une forme de réalisme magique à la française, chose peu usitée par ici. A-t-il suffi d’une morte qui marche, morte resplendissante et qui semble même active sexuellement, et qui vient boire le thé chez les gens, tranquille, pour que je pense à Pedro Páramo ? Peut-être. Le cerveau est une machine simple. Mais je suis épaté. Je suis embarqué. Je suis emballé. Il y a dans ce texte un mélange de mélancolie et de joie froide et méchante, qui sied à l’évocation des familles, des liens, non-liens, et entourages (féminin) de circonstances. Féminin, car les hommes n’y sont que des ombres. Je viens de corriger, j’avais inscrit « les ombres ne sont que des ombres », ce qui ne nous mènera pas bien loin… Encore que… Le théâtre, c’est l’une de ces inondations catastrophiques de la Garonne, comme une sourde menace de dislocation des vies. Tristesse du contexte. Mais pour ce qu’il en est de la tristesse, c’est l’écrivaine que la projette sur toute rencontre, par cette obsession du vert, de la couleur des fringues des femmes, et cette étrange fixation très personnelle sur cette couleur à contre-emploi, déconnoté, reconnoté, et qui dessine au gré une surfigure matriarcale énigmatique et inquiétante.
Brusquement, sur la fin, hors l’étrange psychomagie, ce qui me plait me saute aux yeux : aucun essentialisme ici, juste des gens qui ne sont que ce qu’ils sont à l’instant de leurs interactions, dans le moment des rencontres, et jamais les mêmes, tout à fait les mêmes, à chaque rencontre, à chaque époque, à chaque âge de leur vie. Rien de plus « réaliste » que ça.
Quant au livre, même pas vert, avec toujours la graphie foireuse, mais émouvante de Pierre Alechinsky, il s’agrémente de 8 belles photographies de Julie Ganzin et 9 photographies de famille anciennes sans distinction de source. Bémol, la photographe n’est pas créditée (cette manie française), mais qualité de la collection, le maquettiste si : Dominique Guillaumin.